Correspondance de Voltaire/1751/Lettre 2290
Mon cher ami, j’avais bien raison de soupçonner Henning : ou il m’a fait une bien cruelle infidélité, ou il a permis qu’un de ses ouvriers en fût coupable. On vend l’histoire du Siècle de Louis XIV publiquement à Francfort-sur-l’Oder et à Breslau. Je n’ai point vu l’édition de Breslau, mais M. de Bielfed[1] a vu celle de Francfort-sur-l’Oder. Je regrette peu les deux mille écus que cette impression de Berlin peut m’avoir coûté ; mais il est bien triste qu’on ait imprimé l’ouvrage avec toutes les fautes que je m’occupe jour et nuit à corriger, malgré les maladies dont je suis accablé. Il n’y aurait qu’un moyen d’arrêter le mal : ce serait que le roi eût la bonté d’envoyer un ordre à Francfort et à Breslau de faire saisir l’ouvrage chez le libraire. S’il le fallait, j’irais moi-même à Francfort, et j’enverrais en même temps à Leipsick, où, sans doute, on aura envoyé l’édition subreptice. Voilà une friponnerie pire, s’il est possible, que celle d’Hirschell ; mais je suis accoutumé à ces perfidies ; je vois que les libraires de tous les pays se ressemblent[2]. Mon cher ami, il faut souffrir beaucoup de la part de la nature, et de la part des hommes. S’ils étaient tous comme vous, on serait trop heureux.