Correspondance de Voltaire/1750/Lettre 2151

Correspondance de Voltaire/1750
Correspondance : année 1750, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 204-205).

2151. — DE M. LE MARQUIS D’ADHÉMAR.
À Paris, le 25 de novembre 1750.

J’avais été instruit dans le temps, monsieur, de l’ingratitude et de l’insolence du petit d’Arnaud envers vous, et j’en avais marqué mon indignation. Je priai même M. d’Argental de remonter à l’origine de la lettre à Fréron, et d’en prendre copie. Cette lettre était lus de tout le monde, et se débitait d’une manière si désavantageuse que je voulus voir la préface dont on se plaignait, et qu’on accusait d’être tronquée. Elle me parut aussi simple que je pouvais le désirer, et je n’y trouvai à redire que le nom de l’auteur et son style. Enfin, monsieur, je ne doute point que le grand roi que vous servez ne vous rende promptement justice. On est heureux d’avoir à défendre la vérité devant le monarque qui l’éclairé et qui la protège.

Cependant, malgré cette assurance, je vous exhorte encore, monsieur, au plus grand courage. Les grandes réputations et la parfaite tranquillité ne vont guère de compagnie.

Mais, pour revenir à notre petit homme, on me dit dans le moment qu’il vient d’écrire une nouvelle lettre à Fréron, où il assure que tout est raccommodé. Au nom de Dieu, monsieur, en soutenant les vrais talents, gardez-vous de ces lourds frelons : ils ne se souviennent de ce qu’ils vous doivent que pour en punir leur bienfaiteur. Je me rappelle à ce propos qu’une personne[1] me disait, un jour, qu’étant placé à l’amphithéâtre auprès de l’abbé Desfontaines et de d’Arnaud, il entendit le premier reprocher à l’autre quelque attachement pour vous. « Mais, monsieur, répondit d’Arnaud, vous ne faites pas attention qu’il m’oblige, et que je lui dois de la reconnaissance. — Eh bien, reprit l’abbé, on peut prendre de lui lorsqu’on a des besoins ; mais il faut en dire du mal. »

Vous voyez que l’homme s’est souvenu de la morale, et qu’il n’a pas tardé de la mettre en pratique.

Adieu, monsieur ; méprisez cette vile engeance, et tâchez de vous armer de philosophie sur les événements. La vérité triomphe toujours à la longue, et l’envie se trouve abattue sous le poids des grandes réputations.

  1. M. Dutertre.