Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 2017

Correspondance de Voltaire/1749
Correspondance : année 1749, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 64-65).

2017. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Cirey, le 21 septembre.

Je ne sais, mon adorable ami, combien de jours nous resterons encore dans cette maison que l’amitié avait embellie, et qui est devenue pour moi un objet d’horreur. Je remplis un devoir bien triste, et j’ai vu des choses bien funestes. Je ne trouverai ma consolation qu’auprès de vous. Vous m’avez écrit des lettres qui, en me faisant fondre en larmes, ont porté le soulagement dans mon cœur. Je partirai dans trois ou quatre jours, si ma malheureuse santé me le permet.

Je meurs dans ce château ; une ancienne amie[1] de cette infortunée femme y pleure avec moi ; j’y remplis mon devoir avec le mari et avec le fils. Il n’y a rien de si douloureux que ce que j’ai vu depuis trois mois, et qui s’est terminé par la mort. Mon état est horrible ; vous en sentez toute l’amertume, et vos âmes charmantes l’adoucissent.

Que deviendrai-je donc, mes chers anges gardiens ? Je n’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que je vous aime tous deux assurément autant que je l’aimais. Vous portez l’attention de votre amitié jusqu’à chercher à me loger. Pourriez-vous disposer de ce devant de maison ? J’en donnerai aux locataires tout ce qu’ils voudront ; je leur ferai un pont d’or. J’aimerais mieux cela que le palais Bourbon ou le palais Bacquencourt. Voyez si vous pouvez me procurer la plus chère des consolations, celle de m’approcher de vous.

J’attends avec impatience le moment de vous embrasser ; mais que je retrouve donc Mme d’Argental en bonne santé ! Je me flatte que M. de Pont-de-Veyle et vos amis daignent prendre quelque part à mon cruel état.

  1. Probablement Mme de Champbonin citée indirectement encore au commencement de la lettre qui suit.