Correspondance de Voltaire/1749/Lettre 1985

Correspondance de Voltaire/1749
Correspondance : année 1749, Texte établi par Condorcet, GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 37 (p. 32-33).

1985. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
À Lunéville, le 21 juillet 1749.

Mais, ô anges ! quel excès d’indifférence ! Je n’entends point parler de vous, je ne revois point ma Nanine. En vérité, madame, je suis confondu d’étonnement, et navré de douleur. Il y a un mois que j’ai écrit à M. d’Argental, et point de réponse ! Passe encore de ne me pas envoyer ma pièce ; mais de ne me pas dire comment vous vous portez, cela est trop cruel. Vous ne sauriez croire dans quelles inquiétudes son silence me jette.

Mme du CHâtelet, qui vous fait ses compliments, compte accoucher ici d’un garçon, et moi, d’une tragédie[1] ; mais je crois que son enfant se portera mieux que le mien. Je vous conjure, mes anges, de ne pas oublier Sémiramis. Je vais écrire aux Slodtz, et leur recommander un beau mausolée. Adam[2] en fait ici un pour la reine de Pologne[3] qui est digne de Girardon. Pourquoi faut-il que Ninus soit enterré comme un gredin ? Il faudra que de Cury[4] fasse de son mieux, et qu’il y mette au moins la dixième partie de l’activité avec laquelle il habilla ce magnifique sénat de Catilina.

Écrivez-moi donc, paresseux anges.

  1. Rome sauvée, que Voltaire commença le 3 auguste suivant. (Cl.)
  2. Nicolas-Sébastian Adam, né à Nancy en 1705, mort on 1778.
  3. Catherine Opalinska, morte le 19 mars 1747.
  4. Bay de Cury, intendant des menus-plaisirs, qui, ayant, dans un prologue, tourné en ridicule les gentilshommes de la chambre, fut obligé de quitter sa charge. Quelque temps après, et en 1739, il fit cette parodie de Cinna pour laquelle fut persécuté Marmontel, à qui on l’attribua. Cette parodie, dont les interlocuteurs sont le duc d’Aumont, d’Argental et Lekain, a été imprimée à la fin du tome second du Journal de Collé, mais n’est pas dans tous les exemplaires. (B.) — La parodie de Cinna dont Bay de Cury est l’auteur a été donnée par M. Maurice Tourneux dans son édition de la Correspondance de Grimm, tome IV, page 184 ; Paris, Garnier frères, 1878.