Correspondance de Voltaire/1748/Lettre 1890

Correspondance de Voltaire/1748
Correspondance : année 1748GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 513-514).

1890. — À M. CLÉMENT[1],
receveur des tailles, à dreux.
À Versailles, le 11 juin.

Vous m’avez toujours témoigné de l’amitié, monsieur ; voici une occasion de m’en donner des marques. Votre intérêt s’y trouve joint au mien. J’apprends qu’on vient d’imprimer en Normandie, les uns disent à Rouen, les autres à Dreux[2], douze volumes, sous le nom de mes Œuures, remplis d’ouvrages scandaleux, de libelles diffamatoires, et de pièces impies qui méritent la plus sévère punition. L’édition est intitulée : d’Amsterdam, par la Compagnie des libraires ; mais il est démontré qu’elle est faite en Normandie, puisque c’était de là que venait le premier volume, qui contient la Henriade, et que j’ai vu vendre publiquement à Versailles, au commencement de cette année. Ce premier volume est précisément le même, sans qu’il y ait une lettre de changée. C’est ce que je viens de vérifier à la hâte. Je n’ai point encore vu les autres tomes ; mais j’ai vu votre nom en plus d’un endroit de la table qui est à la tête. Vous voilà assurément en détestable compagnie ; on y annonce plusieurs pièces de vous. Il n’est pas douteux, monsieur, que le gouvernement ne procède avec rigueur contre les éditeurs de cette édition abominable, et il y va de mon plus grand intérêt de la supprimer. Vous y êtes intéressé, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire d’abord. Le nom d’un honnête homme, d’un père de famille, ne doit pas se trouver avec des ouvrages qui attaquent la probité, la pudeur, et la religion. Je vous demande en grâce de faire tous vos efforts pour savoir où l’on a imprimé et où l’on vend ce scandaleux ouvrage. Vous pourrez être sur la voie par ceux que vous serez à portée de soupçonner d’avoir si indignement abusé de votre nom. Je peux vous assurer que Mme la duchesse du marine, et tous les honnêtes gens, vous sauront gré d’avoir arrêté cette iniquité. En mon particulier, monsieur, j’en conserverai une reconnaissance qui durera autant que ma vie. Je vous supplie de faire chercher le livre chez les libraires de la province, d’employer vos amis et votre crédit avec votre prudence ordinaire, et de vouloir bien me donner avis de ce que vous aurez pu faire. Ce sera une grâce que je me croirai obligé de reconnaître par le plus tendre attachement et par l’empressement le plus vif à vous servir dans toutes les occasions où vous voudrez bien m’employer. J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec les sentiments de l’estime et de l’amitié que vous m’avez inspirés, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

  1. Voyez tome XXXIII, la lettre 293.
  2. Dreux était dans l’Ile-de-France.