Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1807

Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 437-438).

1807. — ROI AU LIEUTENANT GÉNÉRAL DE POLICE[1].
Ce 26 avril 1746.

Au retour de la campagne, où j’étais allé ensevelir mon chagrin sur la mort de ma sœur, j’ai appris que ma réputation était violemment attaquée par le sieur Voltaire. Je ne puis en douter par les lettres qu’il a écrites à des académiciens. S’ils me les eussent confiées, j’aurais en justice réglée la voie ouverte pour le forcer à prouver ou à se rétracter. Il ne me reste de recours que votre seule autorité et les perquisitions. L’ouvrage que m’impute mon accusateur est imprimé, je n’ai jamais rien mis au jour que de l’aveu de la police ou de la chancellerie. Ayez la bonté, monsieur, de vous faire informer si les imprimeurs frauduleux m’ont jamais connu comme lui.

L’homme qui veut être à toute force mon ennemi me choisit entre tous les siens pour m’imputer tout ce qui s’écrit contre lui : il a craint que je ne fusse son concurrent à l’Académie, moi dont l’indifférence ou la retenue sur ce vain titre est connue de toute la France.

Il est public que je ne me suis point mis à la traverse ; que je n’ai sollicité personne ; que je suis hors d’intérêt dans ses rivalités et dans ses querelles.

C’est un personnage qui donne pour vrai tout ce qu’il imagine. Le ministre auquel je viens d’écrire le sait bien.

Comme il est impossible de faire taire toutes les voix que Voltaire élève, je n’ai de ressource, monsieur, que de me justifier à vos yeux. Je vous dois comptes de mes mœurs. Je vous les rends avec confiance. Je ne crains pas que mon fougueux ennemi vous prévienne, ni que ses protecteurs ne cessent de me persécuter. Il prétexte sa calomnie de l’envie que me doit causer son talent, et du chagrin qu’il me fait en donnant ses ouvrages lyriques à la cour et à la ville. En vérité, monsieur, ai-je perdu à la comparaison, et dois-je être bien mortifié ? Je ne le serais que si vous doutiez de mon innocence et de ma sensibilité à votre estime[2].

  1. Voltaire à la cour, par Desnoiresterres, page 59. L’autographe était dans la collection de M. Dubrunfaut.
  2. Les perquisitions les plus actives furent faites, sur les instances de Voltaire, pour découvrir les auteurs et les distributeurs du Discours prononcé à la porte de l’Académie française, par le directeur, à M. *** et du Triomphe poétique. Une descente eut lieu le 29 avril chez Mairault, qui était moribond ; la veuve Bienvenu, la veuve Lormel, avec son fils et Josse, son gendre, furent jetées en prison (20 mai et 3 juin) ; un colporteur, nommé Phélizot, fut arrêté et transféré à l’Hôpital. Celui-ci dénonça Louis Travenol, violon de l’Opéra. Le 3 juin, ordre est donné au sieur de La Vergée, commissaire au Châtelet de Paris, accompagné du sieur d’Advenel, inspecteur de police, de faire une exacte perquisition des imprimés prohibés et manuscrits chez le sieur Travenol, maitre à danser, et chez son fils, violon de l’Opéra. On trouve, chez les deux, trois exemplaires des libelles poursuivis. Travenol fils était absent. Le père, un vieillard de quatre-vingts ans, fut écroué le 7 juin au For-l’Évêque. Voltaire, prévenu du mauvais effet produit par cette arrestation, fait une démarche auprès de M. de Marville : le vieux Travenol sort du For-l’Évêque le 12 juin, après une détention de six jours dont trois au secret. L’abbé d’Olivet prend le rôle d’intermédiaire entre Voltaire et Travenol fils. Voltaire exige de celui-ci l’aveu sincère et complet de ses torts. Louis Travenol s’exécute dans la lettre à l’abbé d’Olivet qu’on trouvera plus loin (n° 1839). Voltaire s’en sert comme d’une pièce de conviction, fait dresser proces-verbal au commissaire La Vergée, et présente au lieutenant criminel Nègre une requête à fin d’assigner. Un procès s’engage ; on trouvera, dans la partie de la correspondance qui va suivre, les pièces principales.