Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1791
J’ai passé plusieurs fois chez vous[2] pour vous remercier d’avoir donné au public des pensées[3] au-dessus de lui. Le siècle qui a produit les Étrennes de la Saint-Jean[4], les Écosseuses[5], Misapouf[6], ne vous méritait pas ; mais enfin il vous possède, et je bénis la nature. Il y a un an que je dis que vous êtes un grand homme, et vous avez révélé mon secret. Je n’ai lu encore que les deux tiers de votre livre ; je vais dévorer la troisième partie. Je l’ai porté aux antipodes, dont je reviendrai incessamment pour embrasser l’auteur, pour lui dire combien je l’aime, et avec quels transports je m’unis à la grandeur de son âme et à la sublimité de ses réflexions, comme à l’humanité de son caractère. Il y a des choses qui ont affligé ma philosophie ; ne peut-on pas adorer l’Être suprême sans se faire capucin[7] ? N’importe, tout le reste m’enchante vous êtes l’homme que je n’osais espérer, et je vous conjure de m’aimer.
- ↑ Vauvenargues ayant donné son livre en février 1746, cette lettre a dû suivre de près.
- ↑ Vauvenargues avait quitté Aix, et demeurait alors à Paris, rue du Paon, faubourg Saint-Germain, hôtel de Tours. (Cl.)
- ↑ Allusion au volume in-12 paru en janvier sous le titre d’Introduction à la connaissance de l’esprit humain, suivie de Réflexions et de Maximes.
- ↑ Recueil de divers auteurs, entre autres Montesquieu, le comte de Maurepas, le comte de Caylus, et La Chaussée. C’est un volume in-12 dont la première édition est de 1742.
- ↑ C’est le titre d’un volume in-12 publié en 1739, et dont on dit que les auteurs sont Vadé, le comte de Caylus, et la comtesse de Verrue.
- ↑ Le Sultan Misapouf et la Princesse Grisemine, par Voisenon, 1746, deux parties in-12.
- ↑ Voltaire fait ici allusion, non pas à quelques maximes qui ont également affligé sa philosophie ; mais à la Méditation sur la foi, car il dit précédemment qu’il n’a lu encore que les deux tiers du livre : or, dans la première édition, la Méditation est à peu près à la moitié du volume, et les Maximes sont à la fin.