Correspondance de Voltaire/1746/Lettre 1787

Correspondance de Voltaire/1746
Correspondance : année 1746GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 416).
1787. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON,
ministre des affaires étrangères.
À Paris, le 17 février.

Je vous fais mon compliment de la belle chose[1] que j’entends dire. Comptez que, quand vous serez au comble de la gloire, je serai à celui de la joie. Souvenez-vous, monseigneur, que vous ne pensiez pas à être ministre quand je vous disais qu’il fallait que vous le fussiez pour le bien public. Vous nous donnerez la paix en détail ; vous ferez de grandes et de bonnes choses, et vous les ferez durables, parce que vous avez justesse dans l’esprit et justice dans le cœur. Ce que vous faites m’enchante, et fait sur moi la même impression que le succès d’Armide sur les amateurs de Lulli.

Il faut que j’aille passer une quinzaine de jours à Versailles je ne serai point surpris si, au bout de la quinzaine, j’y entends chanter un petit bout de Te Deum pour la paix. En attendant, voulez-vous permettre que je fasse mettre un lit dans le grenier au-dessus de l’appartement que vous avez prêté à Mme du Châtelet, sur le chemin de Saint-Cloud ? J’y serai un peu loin de la cour, tant mieux ; mais je me rapprocherai souvent de vous, car c’est à vous que mon cœur fait sa cour depuis bien longtemps, et pour toujours.

Mille tendres respects.

  1. Le comte de Maillebois, fils du maréchal de ce nom, et gendre du marquis d’Argenson, venait d’être associé à Lévesque de Champeaux, alors resident de France à Genève, mais envoyé secret à la cour de Turin. Ce fut le 17 février 1746 que le comte de Maillebois signa, chez son beau père, un traité d’armistice entre la France et la Sardaigne ; mais le comte arriva trop tard au lieu de sa destination, et l’ambition extravagante de la reine d’Espagne acheva de contrecarrer les vues du ministère français, dont une partie, y compris Maurepas, était alors vouée a la cour de Madrid. (Cl.)