Correspondance de Voltaire/1744/Lettre 1679

Correspondance de Voltaire/1744
Correspondance : année 1744GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 326-327).

1679. — À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT[1].

D’un pinceau ferme et facile
Vous nous avez, trait pour trait,
Dessiné l’homme inutile[2].
On ne dira jamais, grâces à votre style
« Le peintre a fait là son portrait. »
On dira : « Ce mortel aimable
Unissait Minerve et les Ris,
Et dans tous les beaux-arts, comme avec ses amis,
Mêlait l’utile à l’agréable. »

Oui, monsieur, si vous avez assez de loisir pour vouloir bien retoucher cette pièce, dont le fond est si vrai et les détails si charmants ; si vous vous donnez la peine de l’embellir au point où elle mérite de l’être, vous en ferez un ouvrage digne de Boileau ; mais il faut sa patience. C’est pour ne l’avoir pas eue que je ne suis point encore content de mes vers sur les Événements présents ; c’est pour cela que je ne les imprime point. C’est bien assez que vous ayez aperçu, à travers les négligences, quelques beautés qui demandent grâce pour le reste. C’est un encouragement pour finir la pièce à loisir ; mais, en vérité, il y a trop de vers sur ce sujet. Je crois que le confesseur du roi lui a ordonné, pour pénitence, de les lire tous.

Homme charmant, je reçois deux lettres de vous où je vois l’excès de vos bontés ; vous ne savez pas à quel point elles me sont chères. Mais où êtes-vous ? où ma lettre et mes tendres remerciements vous trouveront-ils ? Je partis hier de Champs pour venir faire répéter la Princesse de Navarre.

Rameau travaille ; je commence à espérer que je pourrai donner du plaisir à la cour de France. Mais vous avouerai-je que je compterais plus sur l’opéra de Prométhée, pour former un beau spectacle, que sur une comédie-ballet ? Je ne sais si Royer n’est pas devenu bon musicien. J’attends avec impatience le retour de M. le président Hénault pour juger de tout cela. Je retourne à Champs dans l’instant ; j’y vais retrouver Mme du Deffant, et disputer même avec elle à qui vous aime davantage. Mais savez-vous avec quelle impatience vous êtes attendu ? Vous êtes aimé comme Louis XV. Vale, vive, veni.

On ne peut vous être attaché avec une tendresse plus respectueuse que Voltaire.

  1. Cette lettre, toujours datée du 6 juillet 1745, ne peut être que de 1744, et encore du mois de septembre ou d’octobre.
  2. Le président avait composé une épitre intitulée l’Homme inutile.