Correspondance de Voltaire/1744/Lettre 1674

Correspondance de Voltaire/1744
Correspondance : année 1744GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 321).
1674. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Septembre.

Mon cher et respectable ami, voilà ma petite drôlerie[1] ; si vous voulez avoir la bonté de souffrir qu’elle passe par vos aimables mains, pour aller ennuyer ou amuser un moment votre éminentissime oncle[2], cela sera mieux reçu ; et je vous supplie de vouloir bien ménager cette négociation. Il y a je ne sais quoi de bien insolent à envoyer ses vers soi-même ; c’est dire à un ministre : Quittez vos affaires pour me lire, admirez-moi, et donnez-vous la peine de me l’écrire. Il faut, en vérité, que les vers se fassent lire eux-mêmes ; qu’ils courent d’eux-mêmes s’ils sont bons ; qu’ils tombent d’eux-mêmes s’ils ne valent rien, et que le pauvre auteur se cache tant qu’il peut. On doit être soûl de vers sur le roi. Hier, je vis encore trois odes c’est bien le cas de dire :

· · · · · · · · · · · · · · · et si peu de bons vers[3].

Il faudrait être fou pour se fâcher quand on nous dit que, de trente mille vers faits par nous, il y en a peu de bons.

Si on avait l’esprit mal fait, on se fâcherait plutôt du début :

Quoi ! verrai-je toujours des sottises en France !

On se fâcherait de ce qu’on dit qu’il y a des railleurs : voilà qui est plus personnel ; mais j’espère qu’on ne se fâchera point, parce qu’on ne me lira point. Peut-être quatre vers de l’endroit de Germanicus, qui sont touchants, et que M. le cardinal de Tencin pourrait faire valoir dans un moment favorable, seraient vus avec indulgence, et puis c’est tout. En un mot, que le roi sache que j’ai mis mes trois chandelles à ma fenêtre. Pardon si je suis un bavard en vers et en prose. Mille tendres respects à madame l’ange.

  1. Le petit poëme Sur les Événements de l’année 1744.
  2. Le cardinal de Tencin, nommé ministre d’État le 30 auguste 1742, mais sans portefeuille.
  3. C’est une première version. Le texte porte :
    · · · · · · · · · · · · · · · et tant de mauvais vers.
    Voyez, tome IX, le poëme Sur les événements de l’année 1744.