Correspondance de Voltaire/1744/Lettre 1641

Correspondance de Voltaire/1744
Correspondance : année 1744GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 283-284).

1641. — DE D’ALEMBERT[1].
Paris, 1er mars 1744.

Monsieur, serez-vous donc toujours l’adulateur du vice ? Suivez plutôt la fougue de votre imagination impétueuse. Comment votre plume a-t-elle pu s’abaisser à louer un magistrat[2] qui s’est rendu coupable de plus de crimes qu’il n’a prononcé d’arrêts ? Vous ignoriez sans doute ses expéditions sanglantes à Mérindol et Cabrières contre les Vaudois. S’il vous souvenait qu’à peine entré dans cette dernière ville il fit conduire dans un pré les soixante hommes qui la défendaient, et les fit tous égorger par ses soldats ; que les femmes, qui cherchèrent alors un asile dans les églises, furent violées jusque sur les marches de l’autel, et que celles dont l’âge et la laideur étaient un frein contre la licence furent renfermées et brûlées dans une grange pleine de paille ; s’il vous souvenait que vingt-deux autres villages partagèrent le sort de Cabrières, et que cette horrible persécution coûta la vie au moins à quatre mille personnes, et que l’élite de la jeunesse vaudoise, au nombre de sept cents, fut réservée à l’opprobre le plus honteux, vous abandonneriez bientôt votre langage cynique et révoltant pour vous élever contre les emportements de la plus criminelle des persécutions. Adieu, monsieur ; ma plume va vous paraître un peu hardie, mais je ne puis fermer la bouche à la vérité.

d’Alembert.

    sont tous deux bien postérieurs à la date indiquée, et encore n’a-t-il pas fait l’éloge du magistrat persécuteur. (G. A.)

  1. Cette lettre, qui se trouve dans le supplément des Œuvres de d’Alembert, n’a jamais figuré à cette place. Elle est pourtant indispensable, puisqu’elle nous fait connaître la triste opinion que d’Alembert eut d’abord du grand homme avec lequel il devait bientôt se lier à tout jamais. Le jeune géomètre avait alors vingt-sept ans ; mais nous ne savons à propos de quel ouvrage fut écrite cette lettre, datée de 1744. Voltaire, si nous ne nous trompons, n’a parlé de d’Oppède que dans son Essai sur les Mœurs et dans son Histoire du Parlement, ouvrages qui
  2. D’Oppède, ennemi juré des Vaudois sous François Ier.