Correspondance de Voltaire/1743/Lettre 1617

Correspondance de Voltaire/1743
Correspondance : année 1743GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 254).
1617. — À M. AMELOT,
ministre des affaire étrangères.
À Berlin, le 8 octobre.

Monseigneur, dans le dernier entretien particulier que j’eus avec Sa Majesté prussienne, je lui parlai d’un imprimé qui courut, il y a six semaines, en Hollande, dans lequel on proposait des moyens de pacifier l’empire en sécularisant des principautés ecclésiastiques en faveur de l’empereur et de la reine de Hongrie, suivant l’exemple qu’on en donna, le siècle passé, à la paix[1] de Vestphalie. Je lui dis que je voudrais de tout mon cœur voir le succès d’un tel projet ; que c’était rendre à César ce qui appartient à César ; que l’Église ne devait que prier Dieu pour les princes ; que les bénédictins n’avaient pas été institués pour être souverains, et que cette opinion, dans laquelle j’avais toujours été, m’avait fait beaucoup d’ennemis dans le clergé. Il m’avoua que c’était lui qui avait fait imprimer ce projet. Il me fit entendre qu’il ne serait pas fâché d’être compris dans ces restitutions que les prêtres doivent, dit-il, en conscience aux rois, et qu’il embellirait volontiers Berlin du bien de l’Église. Il est certain qu’il veut parvenir à ce but, et ne procurer la paix que quand il y verra de tels avantages.

C’est à votre prudence à profiter de ce dessein secret, qu’il n’a confié qu’à moi. Peut-être si l’empereur lui faisait, dans un temps convenable, des ouvertures conformes à cette idée, et pressait une association de princes de l’empire, le roi de Prusse se déterminerait à se déclarer ; mais je ne crois pas qu’il voulût que la France se mêlât de cette sécularisation, ni qu’il fasse aucune démarche éclatante, à moins qu’il n’y voie très-peu de péril et beaucoup d’utilité.

Il me dit que, dans quelque temps, on verrait éclore des événements agréables à la France. J’ai peur que ce ne soit une énigme qui n’a point de mot. Il veut toujours me retenir. Il m’a fait encore parler aujourd’hui par la reine mère[2] ; mais je crois que je dois plutôt venir vous rendre compte que de jouir ici de sa faveur.

  1. En 1648 ; voyez tome XIII, page 591.
  2. Sophie-Dorothéede Hanovre.