Correspondance de Voltaire/1743/Lettre 1615

Correspondance de Voltaire/1743
Correspondance : année 1743GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 252-253).

1615. — À M. AMELOT,
ministre des affaires étrangères[1].
Le 5 octobre.

Monseigneur, ce que vous mande M. de Valori, touchant la conduite du roi de Prusse à mon égard, n’est que trop vrai.

Vous savez de quel nom et de quel prétexte je m’étais servi auprès de lui pour colorer mon voyage. Il m’a écrit plusieurs lettres sur l’homme qui servait de prétexte[2], et je lui en ai adressé quelques-unes qui sont écrites avec la même liberté. Il y a dans ses billets et dans les miens quelques vers hardis qui ne peuvent faire aucun mal à un roi, et qui en peuvent faire à un particulier. Il a cru que, si j’étais brouillé sans ressource avec l’homme qui est le sujet de ces plaisanteries, je serais forcé alors d’accepter les offres que j’ai toujours refusées de vivre à la cour de Prusse. Ne pouvant me gagner autrement, il croit m’acquérir en me perdant en France ; mais je vous jure que j’aimerais mieux vivre dans un village suisse que de jouir à ce prix de la faveur dangereuse d’un roi capable de mettre de la trahison dans l’amitié même : ce serait en ce cas un trop grand malheur de lui plaire. Je ne veux point du palais d’Alcine, où l’on est esclave parce qu’on a été aimé, et je préfère surtout vos bontés vertueuses à une faveur si funeste.

Daignez me conserver ces bontés, et ne parler de cette aventure curieuse qu’à M. de Maurepas. Je lui ai écrit de Baireuth, mais j’ai peur que le colonel Mentzel n’ait ma lettre[3].

  1. Lettre écrite en chiffres.
  2. Boyer.
  3. Cette lettre est effectivement perdue. (Cl.)