Correspondance de Voltaire/1743/Lettre 1602

Correspondance de Voltaire/1743
Correspondance : année 1743GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 235-236).

1602. ‑ À M. AMELOT,
ministre des affaires étrangères.
À la Haye, ce 17 août.

Monseigneur, heureusement le courrier n’est pas encore parti. Je profite de cet instant pour avoir l’honneur de vous informer qu’il vient d’arriver un courrier du roi de Prusse à son ministre, avec une lettre portant en substance qu’il regarde comme une violation du droit des souverains, et comme une marque de mépris pour sa personne, le passage des troupes hollandaises par son territoire sans lui avoir demandé, à lui expressément, la permission. Il ordonne à son ministre, le jeune comte de Podewils, de prendre cette affaire avec hauteur, et d’exiger une satisfaction authentique. De plus, il ordonne à son ministre de partir, et de venir recevoir ses ordres à Berlin, après avoir fait ses plaintes et demandé réparation. Il lui ordonne en même temps de ne partir qu’après avoir laissé à la Haye un secrétaire, et l’avoir instruit du courant des affaires. La lettre est datée de Glatz ? Le voyage du ministre à Berlin sera différé jusqu’au retour de ce secrétaire, qui est actuellement à Spa, et auquel on dépêche un courrier dans le moment.

J’observe que le roi de Prusse n’a été instruit du passage des troupes que par les dépêches datées de la Haye du 30 juillet, et que la personne que j’avais engagée à demander l’arrêt des munitions de guerre l’avait obtenu dès le commencement de juillet, et cela même malgré la permission que les États devaient demander pour ces munitions.

Ces effets sont assez considérables, et j’aurai l’honneur de vous en adresser le mémoire par le premier ordinaire, après que je l’aurai traduit du hollandais en français.

La mésintelligence que j’avais trouvé l’heureuse occasion de préparer, touchant ces effets, est fondée sur l’intérêt. Celle qui naît du passage des troupes vient du juste maintien de la dignité de sa couronne. Je souhaiterais que ces deux grands motifs pussent servir à déterminer ce monarque au grand but où il faudrait l’amener. J’ai peur que son ministre à la Haye, qui a plus d’une raison d’aimer[1] ce séjour, ne ménage, autant qu’il pourra, une conciliation. Je n’attends pas une rupture ouverte, mais je tâcherai de faire en sorte que le ministre de Sa Majesté prussienne attende encore quelques jours pour faire sa déclaration aux États-Généraux. Plus il aura tardé à éclater, et plus tard la réconciliation se fera, et plus longtemps aussi les munitions de guerre seront arrêtées.

Au reste je partirai pour Berlin avec ce ministre, et vous êtes bien sûr que je n’omettrai rien pour le faire servir à vos intentions.

  1. Podewils était amoureux et aimé de la femme d’un des principaux membres de l’État, à la Haye. (Cl.)