Correspondance de Voltaire/1743/Lettre 1557

Correspondance de Voltaire/1743
Correspondance : année 1743GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 187-188).

1557. ‑ À M. DE MONCRIF.
1er février.

J’ai été enchanté, monsieur, de vous retrouver, et de retrouver l’ancienne amitié que vous m’avez témoignée. Je vous remercie encore de l’humanité que vous avez fait paraître, en examinant les ouvrages d’un homme[1] qui était l’ennemi du genre humain. Si tous les gens de lettres pensaient comme vous, le métier serait bien agréable. Ce serait alors qu’on aurait raison de les appeler humaniores litteræ. J’ai oublié d’écrire à M. d’Argenson[2] que je le suppliais de me recommander à M. Maboul[3] ; mais avec vous, monsieur, on a beau avoir oublié ce qu’on voulait, vous vous en souviendrez. Je vous prie donc de vouloir bien suppléer mes péchés d’omission, et de dire à M. d’Argenson qu’il ait la bonté de me recommander fortement et généralement.


Ces deux adverbes joints font admirablement.

(Molière, Femmes savantes, acte III, scène ii.)

Le roi m’a donné son agrément pour être de l’Académie, en cas qu’on veuille de moi. Reste à savoir si vous en voulez. Vous savez que, pour l’honneur des lettres, je veux qu’on fasse succéder un pauvre diable à un premier ministre[4] ; je me présente pour être ce pauvre diable-là.

J’écris à la plus aimable sainte[5] qui soit sur la terre. Elle nous convertira tous ; elle était faite pour mener au ciel ou en enfer qui elle aurait voulu. Je compte sur sa protection dans cette vie et dans l’autre. Je me flatte aussi, mon cher monsieur, que vous ne m’abandonnerez pas, et que, quand vous aurez fini la grande affaire du frère[6] d’Athalie et de Phèdre, vous donnerez des marques de votre amitié à votre ancien serviteur, qui vous sera tendrement obligé, et qui vous aimera toute sa vie.

  1. Moncrif devait donner une édition des OEuvres de J.-B. Rousseau. (K.)
  2. Le comte d’Argenson venait d’être nommé secrétaire d’État au département de la guerre, à la place du marquis de Breteuil, mort subitement ; et comme conseiller d’État, il dirigeait le bureau des affaires de chancellerie et de librairie. (Cl.)
  3. M. Maboul, parent de Jacques Maboul, évêque d’Alet, était maître des requêtes et membre du bureau des affaires de chancellerie et librairie, sous la direction du comte d’Argenson. (Cl.)
  4. Le cardinal de Fleury, mort à Issy le 29 janvier précédent.
  5. La maréchale de Villars, qui était devenue dévote, mais que Voltaire aimait et respectait toujours.
  6. Louis Racine, que Fleury avait empêché d’être admis à l’Académie française vers 1722, et qui, depuis ce temps-là, végétait oublié en province. (Cl.) Voyez tome XXII, page 178.