Correspondance de Voltaire/1742/Lettre 1529

Correspondance de Voltaire/1742
Correspondance : année 1742GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 156-157).

1529. — À M. CÉSAR DE MISSY[1].
À Bruxelles, ce 1er septembre 1742.

Je trouve, monsieur, à mon retour à Bruxelles, une lettre bien agréable de vous, à laquelle je ne réponds qu’en vile prose ; mais ce que vous ne croirez peut-être pas, c’est pour avoir plus tôt fait. Je ne sais si le pays qui est devenu le vôtre est l’ennemi de celui que le hasard de la naissance a fait le mien ; mais je sais bien que les esprits qui pensent comme vous sont de mon pays, et sont mes vrais amis. Je vous supplie donc, monsieur, de vouloir bien me donner une marque de votre amitié en me faisant avoir tout ce qui s’est fait de l’Histoire universelle en anglais, depuis le chapitre y concernant les Juifs jusqu’à la captivité de Babylone, lequel finit dans la traduction française par ces mots : Établit quelque temps après Saül pour être roi d’Israël. Il n’y a qu’à faire adresser le paquet à M. Van Cleve, banquier à Bruxelles, et tirer sur lui le montant du livre et des frais.

On a imprimé depuis peu, à Paris, une petite édition de mes ouvrages, sous le titre d’édition de Genève, chez Bousquet : c’est la moins fautive et la plus complète que j’aie encore vue. J’en ferai venir quelques exemplaires, et j’aurai l’honneur de vous en envoyer un.

Si quelque libraire de Londres voulait les réimprimer, je lui enverrais un exemplaire corrigé et mis en meilleur ordre, accompagné de pièces assez curieuses qui n’ont point encore paru, et surtout de la tragédie de Mahomet ou du Fanatisme ; c’est Tartuffe le Grand, et les fanatiques en ont fait supprimer à Paris les représentations, comme les dévots étouffèrent l’autre Tartuffe dans sa naissance. Cette tragédie est plus faite, je crois, pour des têtes anglaises que pour des cœurs français. On l’a trouvée trop hardie à Paris, parce qu’elle n’est que forte, et dangereuse, parce qu’il y a du vrai. J’ai voulu faire voir par cet ouvrage à quels horribles excès le fanatisme peut entraîner des âmes faibles conduites par un fourbe. Ma pièce représente, sous le nom de Mahomet, le prieur des jacobins mettant le poignard à la main de Jacques Clément, encouragé de plus par sa maîtresse au parricide. On reconnaît là l’auteur de la Henriade ; mais il faut que l’auteur de la Henriade soit persécuté car il aime la vérité et le genre humain. Il n’est permis aux poëtes d’être philosophes qu’à Londres.

Je fais mille compliments à M. de Nancy, dont j’ai aussi reçu une lettre. Adieu, monsieur comptez sur mon attachement et sur ma vive reconnaissance.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.