Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1482

Correspondance de Voltaire/1741
Correspondance : année 1741GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 108).

1482. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL,
À paris.
À Cirey, ce 25 décembre.

Je ne rends pas à mes chers anges gardiens un compte bien exact de ma conduite : je leur écris peu, et, en cela, je pèche grièvement : mais ne lisent-ils pas dans mon coeur ? ne savent-ils pas qu’on est occupé d’eux à Cirey, et qu’on les regrette partout ? On a encore donné quelques coups de lime à leur Mahomet ; mais voici une triste nouvelle pour la Comédie et pour l’Opéra. Le roi de Prusse n’est pas content d’avoir pris la Silésie. Il me mande qu’il prend Dupré et La Noue. Le héros tragique n’est pas si bien fait que le héros dansant, et c’est faire venir un singe de loin ; mais ce singe-là joue très-bien, et je ne connais guère que lui qui pût mettre dans notre Mahomet et la force et la terreur convenables. Ce qui me rassure un peu, c’est que La Noue aime fort Mlle Gautier, et que sûrement on ne peut quitter ce qu’on aime pour le roi de Prusse. La place de premier acteur à Paris vaut bien d’ailleurs une pension à Berlin, et notre parterre vaut un peu mieux qu’un parterre de Prussiens. Mandez-moi, je vous en prie, combien de temps l’ambassadeur turc sera à Paris, et ce qu’on fait à la Comédie. Mme du Châtelet va passer un jour à Commercy nous irons ensuite à Grai, et de là nous reviendrons vous voir, mes très-chers anges, à qui je souhaite la santé et tous les plaisirs de ce monde.

Me mettant toujours à l’ombre de vos ailes.