Correspondance de Voltaire/1741/Lettre 1400

Correspondance de Voltaire/1741
Correspondance : année 1741GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 36 (p. 6-8).

1400. À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
À Bruxelles, ce 16 janvier (1741).

Je reçois mon cher ami, votre lettre du 13, avec un petit billet concernant le sieur Lemoine. Je pourrai le servir auprès de M. d’Argenson, nouveau chancelier. Donnez, je vous prie, au sieur Laporte l’argent qu’il vous demandera sur les mémoires jusqu’à l’année 1741 exclusivement.

Je ne compte point presser pour le payement de mes pensions avant le mois de mars, temps auquel j’aurai l’ordonnance de l’année échue à Noël. Je me ferai payer de tout à la fois. Je crois que celui qui avait fait graver mon portrait en bague avait fait marché à sept louis. Je vous laisse absolument maître de cette affaire. Il ne faut jamais payer en dupe, mais toujours généreusement.

Je vous supplie, mon cher abbé, de faire l’acquisition d’un petit lustre de cristaux de Bohême d’environ deux cent cinquante livres. Je ne veux point de ces anciens petits cristaux, mais de ces gros cristaux nouveaux, semblables à ceux que vous m’envoyâtes à Cirey. Je vous prie de vouloir bien faire au plus tôt cette petite acquisition, et de l’envoyer bien encaissée, et garantie par le marchand, à M. Denis à Lille, commissaire des guerres, avec un petit mot d’avis. Ne manquez pas d’ajouter le cordon de soie, la houppe et jusqu’au crampon. Payez le port, et que la galanterie soit complète je vous serai très-obligé.

Ces quatre sacs de douze cents livres vous restent-ils, les mille livres données à M. du Châtelet ? Arouet a-t-il payé ? Je crois que non, s’il ne vous reste que ces quatre sacs.

Comptez-vous dans ces sacs les quatorze cents livres payées par Bouju ?

Il me semble qu’au mois de septembre vous aviez environ cinq mille deux cents livres, ce qui, joint aux quatorze cents livres de Bouju, fait. 
 6,600 livres
Cinquante louis à Mme et mille livres à M. du Châtelet. 
 2,200   —    

Resterait.
4,400 livres.


Ayez la bonté de me mettre au fait, et de vouloir bien me donner un petit bordereau de ce qu’on me doit au terme de Noël, car il y a longtemps que j’ai perdu le fil de mes affaires. Je crois vous avoir déjà mandé que j’avais délégué ici mes rentes sur la Ville. Ainsi il faut rayer cet article, aussi bien que celui de M. de Guise. Quant aux tableaux que vous voudriez envoyer en Prusse, le roi aime fort les Watteau, les Lancret et les Pater. J’ai vu chez lui de tout cela mais je soupçonne quatre petits Watteau qu’il a dans son cabinet d’être d’excellentes copies. Je me souviens, entre autres, d’une espèce de noce de village où il y avait un vieillard en cheveux blancs très-remarquable. Ne connaissez-vous point ce tableau ? Tout fourmille en Allemagne de copies qu’on fait passer pour des originaux. Les princes sont trompés, et trompent quelquefois.

Quand le roi sera de retour à Berlin, je pourrai lui procurer quelques morceaux de votre cabinet, où il ne sera pas trompé ; mais à présent, il a d’autres choses en tête. Il m’a offert honneurs, fortune, agréments mais j’ai tout refusé pour revoir mes anciens amis.

Je vous embrasse tendrement, mon cher ami.

  1. Édition Courtat.