Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1124

Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 233-234).

1124. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce 3 avril 1739.

Mon cher abbé, j’ai d’abord à vous dire qu’au lieu de recevoir deux mille livres de M. Michel, je vous prie de l’engager à prendre dix mille livres pour un an, lesquelles, avec les deux mille qu’il me doit, feront douze mille livres. Le reste sera pour notre voyage dans les Pays-Bas, et ces dites douze mille livres entre les mains de M. Michel serviront dans un an ou deux, si je suis en vie, à acheter quelques meubles pour le palais Lambert[2].

Monsieur votre frère fait des pas très-inutiles auprès de M. de Goesbriant. Je vous ai déjà dit que ce n’est pas avec les pieds, mais avec la main qu’on fait des affaires. On ne trouve jamais M. de Goesbriant. Une lettre est rendue sûrement, et cent voyages sont inutiles. On perd quatre heures de temps et toute sa journée à courir ; on ne perd qu’un quart d’heure à écrire. Il peut donc écrire à M. de Goesbriant, mais il ne doit jamais y aller.

Il faut en user ainsi avec M. d’Auneuil, lui demander la permission par lettre de s’adresser à ses locataires, afin de ne le pas importuner. Il faut de même un petit mot à M. de Lézeau, lui demander une délégation ou permission de s’adresser à ses fermiers, et agir en conséquence. Tout cela ne doit coûter qu’une demi-heure d’écriture.

Quant à M. le duc de Villars, on doit attendre son retour.

Un mot de lettre à M. Clément est nécessaire, M. le duc de Richelieu doit payer par les mains des fermiers de son duché. Cette affaire ne fera pas difficulté : voilà ce que c’est que d’avoir une délégation. Si nous pouvons en obtenir, ou plutôt nous en donner, sur les biens des autres débiteurs, nos affaires seront dorénavant bien faciles.

Faites-moi l’amitié, mon cher abbé, d’envoyer encore trois louis au chevalier de Mouhy, mais c’est à condition que vous lui écrirez ces propres mots : M. de Voltaire, mon ami, me presse toutes les semaines de vous envoyer de l’argent ; mais je n’en toucherai pour lui peut-être de six mois. Voici trois louis qui me restent, en attendant mieux.

Envoyez chercher le grand d’Arnaud, et dites-lui qu’il peut venir à Cirey, quand il voudra, avec M. Helvétius ; que Mme la marquise du Châtelet le trouve bon.

Voici une autre affaire. Je voudrais au moins présenter requête au lieutenant criminel, pour être à deux de jeu avec Desfontaines. C’est, comme vous savez en général, contre la Voltairomanie qu’il la faut présenter, avec demande de permission d’informer. Cela ne peut nuire et peut servir.

Je vous prie, mon cher ami, d’aller chez M, d’Argenson, l’ambassadeur ; de lui dire que cette démarche ne s’oppose point à ses vues, que ce n’est qu’une précaution sage, et que je ne veux la faire que par ses ordres. Je vous prie d’en écrire autant à M. d’Argental et à M, du Châtelet, en les assurant que ce n’est qu’une précaution. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

Comptez que voilà la dernière corvée de cette indigne affaire.

  1. Édition Courtat.
  2. M. Clogenson pense que Voltaire n’alla jamais occuper son appartement (voyez la lettre 1130) dans l’hôtel Lambert. « Lorsque, dit-il, Voltaire vint à Paris, au commencement de septembre 1739, il descendit à l’hôtel de Brie, rue Cloche-Perce, et non à l’hôtel Lambert. Sa lettre de janvier 1743 à Mme de Champbonin prouve qu’il n’avait pas encore habité cette magnifique maison, à cette époque ; et, dans sa lettre du 27 juin 1743, à Cideville, il fait allusion à sa petite retraite de la rue Traversière, qu’il occupa de 1743 à 1750, dans ses divers voyages à Paris. » (B.)