Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1074

Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 176-178).

1074. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Ce 18 février 1739.

Je reçois, mademoiselle, votre lettre du 12, et vous ne doutez pas combien je suis sensible à vos bontés et à vos sages conseils. Je conçois que le certificat pourrait aboutir à quelque ridicule : car c’est en France le sort de toutes les choses publiques. Mais vous me feriez un très-sensible plaisir si vous m’écriviez une lettre ostensible qui contiendrait à peu près ce qui suit :

« J’ai lu l’infâme libelle attribué par tout le public à un homme qui dès longtemps est votre ennemi : et j’ai jugé, comme le public, que c’est un ouvrage également calomnieux et méprisable. Parmi les impostures atroces qui m’ont révoltée, celles des rapines qu’on vous impute sur vos ouvrages, et de je ne sais quelle querelle arrivée à la Comédie, sont celles qui m’ont le plus frappée, parce que j’ai la connaissance du contraire. Tous mes camarades partagent mon indignation contre l’auteur, quel qu’il soit, de ces abominables calomnies.

« QUINAULT. »

Cette lettre, qui ne vous commet en rien, peut me servir auprès d’une seule personne que je veux mettre au pied du mur, et cette personne, c’est Saint-Hyacinthe, dont j’aurai, ou les oreilles, ou un désaveu.

Je ne vous demande, ma chère et estimable Thalie, que ce que les principaux des avocats ont fait ; ils m’ont envoyé une lettre à peu près semblable, au nom de leur corps. J’espère que j’aurai justice de ce scélérat. Votre ami m’a servi comme il sait servir ; mais il faudrait un peu de sollicitation auprès de M. Hérault. Vous avez d’illustres amis, ne pourriez-vous point faire parler ? Je vous aurais une obligation que deux tragédies et deux comédies ne pourraient acquitter.

Je suis bien fâché de votre indisposition : vous portez-vous mieux à présent ? Mais comment pouvez-vous avoir de la santé avec vos travaux et vos plaisirs ?

Vous voyez bien que les horreurs de Desfontaines ne me troublent guère, puisqu’au milieu de l’embarras d’une espèce de procès criminel, qu’il faut soutenir de cinquante lieues loin, j’ai fait, en dix jours, une tragédie. Le sujet m’a subjugué ; c’est un tourbillon qui m’a emporté, je ne peux travailler que quand j’ai une matière qui se rend maîtresse de moi. Il m’est venu hier un sujet de comédie admirable ; je le traiterai, j’y suis résolu. Nous allons, dans deux mois, dans le Brabant, et sur les frontières de l’Allemagne, plaider pour des successions, et moi, je vous ferai une comédie, charmante Thalie. Vous êtes l’âme du théâtre et la mienne. J’attends vos ordres sur Zulime. Vous êtes comme le cardinal de Richelieu avec les cinq auteurs ; je suis un Colletet, mais je vous aime comme Corneille même ou Molière vous eussent aimée.

Mme la marquise du Châtelet vous fait mille compliments. Alzire est grosse de Zamore. Voulez-vous que le premier-né s’appelle Ramire ?

M. de Caylus me comble de bontés, je crois que je vous en ai l’obligation. Encore une fois et cent fois, j’ai bien raison de vous prier de dire à ce malheureux Merville combien les libelles diffamatoires sont odieux.

Adieu, mademoiselle ; je suis attaché à votre char pour jamais, V.