Correspondance de Voltaire/1739/Lettre 1010

Correspondance de Voltaire/1739
Correspondance : année 1739GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 97-99).

1010. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce 8 (janvier 1739).

Mon cher abbé, c’est ici qu’il faut servir votre ami.

Mettons à quartier toute affaire, et ne songeons qu’à celle du libelle diffamatoire.

1° D’abord, voici mon nouveau mémoire, que je vous prie d’envoyer sur-le-champ, avec la lettre ci-jointe, à M. d’Argental.

2° Non-seulement je vous réitère la prière de parler fortement à Mme de Bernières, mais je vous conjure de prendre force fiacres, de dire à Demoulin qu’il me serve selon les lettres qu’il a reçues, et de le bien encourager.

3° Non-seulement il doit agir de son côté avec la dernière vivacité ; mais tout est perdu si vous n’agissez pas du vôtre, et si vous ne chargez pas quelqu’un de chercher le libelle, d’en déposer un exemplaire chez un commissaire avec procès-verbal. Il faut charger un huissier intelligent de cette poursuite, sans aucun retardement.

Le chevalier de Mouhy ne sait ce qu’il dit.

4° Non-seulement encore Demoulin doit agir selon vos ordres, mais je vous prie très-instamment de passer de grand matin chez l’avocat Pitaval, chez Andry le médecin, chez Procope le médecin. Ils sont outragés dans la Voltairomanie. Il faut que le chevalier de Mouhy les ameute, les presse avec vous de signer une requête à monsieur le chancelier, requête simple et en deux mots :

« Les soussignés, N…, N…, demandent humblement à monsieur le chancelier, en leur nom et en celui de tous les honnêtes gens, justice d’un libelle diffamatoire intitulé la Voltairomanie, dont l’auteur est trop connu, et qu’il a osé mettre sous le nom d’un avocat. »

Pareilles requêtes à M. de Maurepas, à M. d’Argenson, à M. Hérault, à monsieur le procureur général.

Cela est de la dernière importance.

Voyez si vous avez quelqu’un qui puisse se charger de faire toutes ces commissions au lieu de vous. Vous lui donnerez vos ordres, le payerez bien, et presserez le succès de ses démarches.

On a des nouvelles du médecin Andry chez Chaubert, le libraire, et chez tout libraire ; de Procope, au café chez son père ; de Pitaval, chez le libraire Cavelier.

Dès que M. d’Argental aura approuvé mon nouveau mémoire, il vous le renverra, et vous le donnerez au chevalier, pour le faire imprimer sur-le-champ. Il est meilleur que le premier, plus modéré, et peut-être plus touchant. On pourrait même demander un privilège, mais cela retarderait trop.

Vous pouvez adroitement faire venir d’Arnaud dans ces circonstances, le loger et le nourrir quelque temps, et le faire servir, non-seulement à courir partout, mais à écrire ; cela doit partir de vous-même ; un mot de lettre à Vincennes sur-le-champ fera tout.

Je vous prie d’envoyer chercher un jeune étudiant du collège de Montaigu, nommé l’abbé Dupré, et de lui donner six livres.

Je vous prie de m’envoyer les Observalions sur les écrits modernes depuis le nombre 225 inclusivement ; mais qu’on ne sache pas que c’est pour moi. Je reçois dans ce moment votre lettre.

Il faut rembarrer le chevalier, quand il parle d’imprimer à mon profit. Faites-lui sentir que c’est pour lui faire plaisir uniquement qu’on le charge d’un tel écrit, et qu’assez d’autres demandent la préférence.

Il n’y a rien à craindre, et un tel mémoire peut s’imprimer tête levée.

Dès que M. d’Argental vous l’aura renvoyé, vous en ferez faire cinq ou six copies par cinq ou six écrivains. Il faut qu’elles soient extrêmement correctes. Vous en enverrez à MM. de Maurepas, d’Argenson, Hérault, d’Aguesseau, avocat général.

C’est dès qu’on aura fait le procès-verbal du dépôt du libelle chez un commissaire qu’il faut obtenir monitoire ; chargez de cela un huissier adroit. N’épargnez point l’argent : cela m’est d’une conséquence extrême.

Surtout retirez tout papier chez le chevalier, je vous en supplie.

Non sans doute, vous ne paraîtrez pas dans le procès criminel. Je ne demande qu’un huissier, un homme d’affaires intelligent que vous aiguillonnerez.

Je vous conjure de suivre cette affaire avec la dernière vivacité. Point de si, point de mais : rien n’est difficile à l’amitié.

Vous pourriez très-bien écrire une lettre à un ami en l’air, dans laquelle vous marqueriez votre indignation contre tous ces libelles, et vous rendriez gloire à la vérité en connaissance de cause, comme un témoin oculaire, de ma conduite et de mes affaires depuis très-longtemps. Je laisse à votre cœur le soin de la composer.

Je vous embrasse.

  1. Édition Courtat.