Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 966

Correspondance de Voltaire/1738
Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 48-49).
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966. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Cirey, ce 24 novembre 1738.

On vous écrit souvent, mademoiselle, comme à l’arbitre du bon goût, et à la personne de France qui juge le mieux des ouvrages d’esprit. Je ne m’adresse aujourd’hui qu’à votre cœur et à la bonté de votre caractère. Il y a dans le monde un M. Guyot de Merville qui travaille pour votre théâtre ; je l’ai connu autrefois par hasard, et je ne l’ai connu que pour lui rendre service ; il s’est depuis peu lié avec l’abbé Desfontaines, et il a sucé le venin que cet ennemi des femmes, du bon goût et des bons ouvrages, s’avise de répandre contre moi, Merville n’a pas manqué, dans la préface d’une de ses comédies dont j’ai oublié le nom, de mettre deux pages d’injures qui ne m’offensent que parce qu’elles viennent d’un homme qu’on dit que vous affectionnez. S’il est vrai qu’il soit assez heureux pour prendre de vos leçons, je suis sûr que vous lui donnerez celle de ne se point déchaîner contre un homme qui ne lui a jamais fait de mal, et qui ne peut se rencontrer dans son chemin. Il vous aura l’obligation de devenir un honnête homme, et moi celle d’avoir un ennemi de moins.

Puisque je suis en train de vous demander des grâces, je vous supplie, mademoiselle, de me dire tout naïvement à qui je pourrais m’adresser pour engager M. de Launai à ne plus envoyer de mémoires contre moi au sieur Rousseau. Vous me direz peut-être, ou du moins vous penserez que vous n’avez que faire de tout cela, que je suis un importun ; mais je vous répondrai qu’il s’agit de faire plaisir, et d’en faire à quelqu’un qui est votre admirateur et votre ami. Il n’y a point à cela de réplique ; et quelque esprit que vous ayez, je vous défie de trouver une raison pour ne pas rendre service quand votre cœur vous dit qu’il faut obliger. Soyez persuadée de la tendre et sincère reconnaissance d’un homme qui vous sera dévoué toute sa vie. Zamore et Alzire vous saluent à quatre pattes. V,