Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 958

Correspondance de Voltaire/1738
Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 35 (p. 37-38).
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958. — À M. DE CIDEVILLE.
À Cirey, ce 10 novembre.

Mon cher ami, je vous dois une Mérope, et je ne vous envoie qu’une épitre. Je ne vous paye rien de ce que je vous dois :

Tam raro scribimus. ut toto non quater anno.

(Hor., lib. II. sat. iii, v. 1.)

Vous m’avez euvoyé une ode[1] charmante. Je rougis de ma misère quand je songe que je n’y ai répondu que par des applaudissements. Vos richesses, en me comblant de joie, me font sentir ma pauvreté. Ne croyez pas, mon cher ami, qu’en vous envoyant une épître, je prétende éluder la promesse de la Mérope.

À qui donc donnerai-je les prémices de mes ouvrages, si ce n’est à mon cher Cideville, à celui qui joint le don de bien juger au talent d’écrire avec tant de facilité et de grâce ? Quel cœur dois-je songer à émouvoir, si ce n’est le vôtre ? Je compte que mes ouvrages seront au moins reçus comme les tributs de l’amitié. Ils vous parleront de moi ; ils vous peindront mon âme.

Ma retraite heureuse ne m’offre point de nouvelles à vous apprendre. Elle laisse un peu languir le commerce ; mais l’amitié ne languit point. Je ne m’occupe à aucune sorte de travail que je ne me dise à moi-même : Mon ami sera-t-il content ? Cette pensée sera-t-elle de son goût ? Enfin, sans vous écrire, je passe mes jours dans l’envie de vous plaire et dans le plaisir d’écrire pour vous.

Mme du Châtelet, qui vous aime comme si elle vous avait vu, vous fait les plus sincères compliments. Nous avons entendu parler ici confusément d’une épître de Formont, contre les philosophes qui ont le malheur de n’être que philosophes. Dieu merci, l’épitre n’est pas contre nous.

Rousseau, après avoir longtemps offensé Dieu, s’est mis à l’ennuyer. Il sera damné pour ses sermons et pour ses couplets.

Je vous embrasse tendrement, mon aimable Cideville. V.

  1. Cette ode est citée au commencement de la lettre 904.