Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 918

Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 551-552).
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918. — À M. THIERIOT.
Le 7 août.

Je reçois, mon cher ami, votre lettre du 1er, celle du 3, la lettre de Son Altesse royale, l’extrait du Père Castel, les vers attribués à Bernard. Grand merci de tout cela, et surtout de vos lettres.

Je vous ai mandé avant-hier que j’écrivais[1] au prince par la même voie par laquelle j’avais reçu son paquet.

Le Père Castel a peu de méthode dans l’esprit ; c’est le rebours de l’esprit de ce siècle. On ne peut guère faire un extrait plus confus et moins instructif.

Les vers de Bernard, ou de qui il vous plaira, sont plus remplis de mollesse et de grâces que piquants de nouveauté. Je pourrais répondre à ceux qui pensent comme lui :

Le bonheur de jouir, moins rare que charmant, Est-il donc l’ennemi du bonheur de connaître ?

Ne peut-on rapprocher le sage de l’amant ?
N’est-ce que chez les sots que l’amour pourra naître ?
Vos vers et votre esprit nous font assez connaître
Qu’on peut penser beaucoup, et sentir tendrement :
L’amour est des humains le plus cher avantage,
C’est le premier des biens, c’est donc celui du sage.
Que Vénus sache aimer, je n’en suis pas surpris ;
Trop de dieux ont goûté les faveurs de Cypris.
Mais au cœur de Pallas inspirer la tendresse,
Couronner la Raison des mains de la Mollesse,
Enchaîner la Vertu de guirlandes de fleurs.
C’est la première des douceurs,
Et le comble de la sagesse.

Voilà des vers qui échappent à ma philosophie. On pourrait les réciter s’ils étaient limés, mais non les donner. Oh quanti e quanti ne vedrete, when you are at Cirey !

Ceux qui reprochent à M. Algarotti le ton affirmatif ne l’ont pas lu. On n’aurait à lui reprocher que de n’avoir pas assez affirmé, je veux dire de n’avoir pas assez dit de choses, et d’avoir trop parlé. D’ailleurs, si le livre est traduit comme il le mérite, il doit réussir. À l’égard du mien, il est jusqu’à présent le premier en Europe qui ait appelé parvulos ad regnum cœlorum[2] car regnum cœlorum, c’est Newton, Les Français, en général, sont assez parvuli. Il n’y a point, comme vous dites, d’opinions nouvelles dans Newton, il y a des expériences et des calculs, et, avec le temps, il faudra que tout le monde se soumette. Les Regnault et les Castel n’empêcheront pas, à la longue, le triomphe de la raison. Adieu, Père Mersenne ; vous vous apercevrez bientôt des sentiments du prince royal pour vous.

  1. Voyez la lettre 915. La lettre adressée à Thieriot, le 5 août, n’a pas été recueillie.
  2. Matthieu, xix. 14.