Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 896

Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 519-520).
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896. — À MM. LEDET ET COMPAGNIE,
libraires à amsterdam.
7 juillet 1738.

Vous avez, sans m’en avertir, donné au public l’édition des Éléments de Newton assez informe, et dont plusieurs choses ne sont point de moi ; vous auriez dû me laisser le temps de corriger cet ouvrage, et de me conformer aux sages remarques qu’a daigné faire monsieur le chancelier, qui seul a eu mon manuscrit entre les mains. L’unique moyen de réparer votre faute est de corriger promptement toutes les bévues de votre édition. Je vous les ai marquées, et vous devez y être très-attentifs, si vous entendez vos intérêts. C’est à vous à consulter sur cela le savant mathématicien qui vous a procuré le chapitre sur la lumière zodiacale[1].

Au reste, si vous faites, comme vous le dites, une nouvelle édition de mes ouvrages, je vous déclare que vous trahirez également votre intérêt et la probité, si vous y insérez, selon la coutume des libraires de Hollande, aucune pièce impie et licencieuse. Je n’en ai jamais fait, et je ne crois pas que la Henriade, qui a déjà été imprimée plus de vingt fois, ait besoin de ces infâmes accompagnements pour se faire vendre.

Vous aurez peut-être imprimé de petites pièces telles que le Mondain, d’après les journaux hollandais ; mais je vous déclare que les vers sur Adam,

Mon cher Adam, mon vieux et triste père,
Je crois te voir, en un recoin d’Éden,
Grossièrement forger le genre humain,

ne sont point de moi. Ces sottises sont de quelques jeunes gens qui ont voulu égayer l’ouvrage ; et si vous imprimez ces vers sous mon nom, je vous regarderai comme des faussaires. Je ne suis point non plus l’auteur des Lettres philosophiques, telles qu’elles ont été débitées ; elles sont pleines d’impertinences dont le moindre grimaud serait incapable.

On y dit que le Père Malebrancbe a soutenu les idées innées de Descartes, quoique le Père Malebrancbe les ait très-fortement combattues. On y parle d’un catalogue de sept mille étoiles ; jamais pareil catalogue n’a été fait, et celui de Flamstead, qui est le plus ample, ne va pas à plus de 2,870 dont on connaît la position.

Enfin il y a des traits qui sont très-peu convenables à un homme qui a du respect pour la religion et pour les lois. Le libraire punissable qui, le premier, imprima ces lettres, crut y donner cours par ces hardiesses ; mais moi, je vous déclare que je n’y ai aucune part, et que si vous imprimez sous mon nom quelque chose que ce puisse être avec le titre de Lettres philosophiques, je serai en droit de me plaindre, même à vos magistrats[2], car il n’est permis nulle part d’imputer à un homme ce qu’il désavoue ; et afin que vous ne doutiez pas de mes sentiments, je vous envoie deux duplicata de cette lettre, dont j’enverrai une copie signée de moi à la chancellerie et à plusieurs personnes en place.

Voltaire.

  1. On voit par ceci que Voltaire n’avait point encore lu les chapitres ajoutés par le mathématicien hollandais, sur la demande de Ledet. ( Note de Decroix.)
  2. Cette lettre constate évidement la cause et l’époque de la métamorphose des Lettres philosophiques en Mélanges de littérature, etc. elle est ostensible, et probablement la suite d’une conférence de l’auteur avec le chancelier, à qui il avait été demandé un privilège pour imprimer les Éléments de Newton ; ce qu’il n’obtint pas. (Note de Décrois.)