Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 855

Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 462-464).
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855. — À M. L’ABBÉ MOUSSINOT[1].
Ce 29 (avril 1738).

Je reçois, mon cher ami, votre lettre du 26.

Je ne pouvais deviner que M. le caissier n’exigeait point vingt pistoles, quand vous me mandiez : Il faut lui donner vingt pistoles. Cet il faut n’avait-il pas l’air d’un droit exigé ? et ce demi pour cent ne ressemblait-il pas au demi pour cent exigé par les notaires ? Toute la différence était que les notaires reçoivent cette rétribution de ceux qui empruntent, et qu’on paraissait l’exiger de moi, qui prêtais.

Un caissier aurait sans doute très-mauvaise grâce d’exiger quelque rétribution de ceux qui prêteraient à son maître. Si j’étais receveur général, et que mon caissier fît cette manœuvre, il ne la ferait pas longtemps. Cependant, comme toute peine mérite salaire, j’ai toujours eu intention que l’on fît un présent à ce caissier, uniquement pour sa peine de compter l’argent, et qu’on lui fît ce présent à la clôture des comptes de son maître avec moi. Une tabatière, un joli portefeuille, en un mot un présent de trois ou quatre louis est ce que je lui destinais, et ce que je crois convenable pour lui et pour moi, quand nous finirons. Mais nous ne sommes pas sitôt prêts de finir, puisque voilà un emploi de vingt mille francs de capital de rente viagère, et outre cela environ vingt mille qui resteront dans la caisse du sieur Michel à cinq pour cent. Tout ce que je demande, à propos de ce fonds restant dans sa caisse, c’est que M. Michel donne sa parole que, s’il arrivait une affaire urgente, il me rendrait ces vingt mille livres avant l’échéance des six mois. Il me fera grand plaisir, car il faut savoir toujours où prendre de l’argent.

Ce que nous aurons de reste servira à acheter des actions, et à payer quelques dettes.

Il m’est indifférent que ce soit le sieur Paquier ou le sieur Michel qui ait mon argent, pourvu que je puisse le toucher à volonté. Si Michel ne voulait point de cette clause, qu’il prenne mon argent à cinq pour cent, de trois mois en trois mois, et tout se trouvera arrangé.

Monsieur votre frère est prié d’écrire encore une lettre bien polie à M. Tanevot.

Je vous réitère, et à lui, ma prière de dire à M. d’Auneuil que je m’en suis toujours rapporté à lui. Vous pouvez, et vous devez même l’instruire de la conduite plus que suspecte de Demoulin.

M. d’Estaing payera donc. Il faudra seulement à la fin d’avril faire souvenir M. de Richelieu de moi. Nous en parlerons alors.

Voici un petit mémoire de glaces dont nous avons besoin à Cirey : si vous pouvez donner ordre à un de vos marchands de nous avoir cela de la manufacture, et de nous l’envoyer bien mis au tain, bien conditionné, vous nous obligerez beaucoup.

Ne pourrait-on point avoir de petits balais de secrétaire, dans le goût de ces beaux balais de plumes que vous m’avez envoyés ?

Je vous envoie un billet du sieur Médine. Vous pouvez, mon cher ami, compter trois cents florins de Flandre au sieur Darius, en cas qu’il endosse le billet. Je vous prie, au préalable, de vous informer si ce Darius est bon : Paquier vous dira cela. Vous me ferez plaisir, en exigeant cette cérémonie du sieur Darius, de lui dire que je suis très-aise de faire plaisir à M. Médine, mais que vous ne pouvez vous dessaisir d’aucun argent sans billet solvable, attendu que c’est un argent de famille : cela tranche net, et prévient toute plainte.

Je réitère à monsieur votre frère l’instante prière que je lui ai déjà faite de me mander de qui il tient l’Almanach du Diable et les Poésies du sieur Ferrand. Je ne le commettrai point, et il doit se rendre à l’intérêt que j’ai de savoir ce dont il s’agit.

Je vous embrasse tendrement.

Je vous prie de ne point égarer le billet de Medina, et surtout de ne rien donner sans un bon billet de Darius.

Je prie instamment monsieur votre frère de vouloir bien passer dans la rue de la Harpe, et de s’informer s’il n’y a pas un cordonnier nommé Rousseau, parent du scélérat Rousseau qui est à Bruxelles. Vale.

  1. Édition Courtat.