Correspondance de Voltaire/1738/Lettre 846

Correspondance : année 1738GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 445-446).
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846. — À M. THIERIOT.
Le 28 mars.

Je vois, mon cher Thieriot, que Maximien a le sort de toutes les pièces trop intriguées. Ces ouvrages-là sont comme les gens accablés de trop d’affaires. Il n’y a point d’éloquence où il y a surcharge d’idées ; et, sans éloquence, comment peut-on plaire longtemps ?

Or çà, je veux bientôt vous envoyer une pièce[1] aussi simple que Maximien est implexe. Il vous a donné un microscope à facette ; je vous donnerai une glace tout unie, et vous la casserez si elle ne vous plaît pas. On m’a fait cent chicanes, cent tracasseries, pour mes Éléments de Newton ; ma foi, je les laisse là ; je ne veux pas perdre mon repos pour Newton même ; je me contente d’avoir raison pour moi. Je n’aurai pas l’honneur d’être apôtre, je ne serai que croyant.

On m’a fait voir une lettre[2] à Rameau sur le révérend Père Castel, qui m’a paru plaisante, et qui vaut bien une réplique sérieuse ; mais je n’ose même l’envoyer, de peur qu’une tracasserie me passe par les mains. Si vous étiez homme à promettre, jure-jurando, secret profond et inviolable, je pourrais vous envoyer cela : car si promettez, tiendrez.

Ce que vous me dites de Lefranc m’étonne. De quoi diable s’avise-t-il d’aller parler du droit de remontrances à une cour des aides[3] de province ? J’aime autant vanter les droits des ducs et pairs à mon bailliage. Je m’imagine qu’on l’a exilé à cause de la vanité qu’il a eue de faire de la cour des aides de Montauban un parlement de Paris. Cependant il a été dévoré du zèle de bon citoyen ; en cette qualité je lui fais mon compliment, et je vous prie de lui dire que, comme homme, comme Français, et comme poëte, je m’intéresse fort à lui. Il aurait dû savoir plus tôt que des personnes comme lui et moi devaient être unies contre les Piron ; mais sa Didon, toute médiocre qu’elle est, lui tourna la tête, et lui fit faire une préface[4] impertinente au possible, qui mérite mieux l’exil que tout discours à une cour des aides.

Vous avez vu ma nichée de nièces, et vous ne me mandez point ce que Quesnel-Arouet a donné. Il faudrait pourtant que Locke-Voltaire en sût deux mots.

Je vous embrasse tendrement. Comment vont votre estomac, votre poitrine, vos entrailles ? Tout cela ne vaut pas le diable chez moi.

P. S. On me mande de Bruxelles que saint Rousseau, confessé par un carme, a déclaré n’avoir point de parents, quoiqu’il ait une sœur à Paris, et un cousin cordonnier, rue de la Harpe. Il a fait dire trois messes pour sa guérison, et a fait un pèlerinage à une Madona : il s’en porte beaucoup mieux. Il a fait une ode sur le miracle de la sainte Vierge en sa faveur.

  1. Mérope.
  2. C’est la lettre 843.
  3. Lefranc (de Pompignan) était alors avocat général de la cour des aides, à Montauban.
  4. La Préface qu’on lit en tête de Didon, dans les diverses éditions des Œuvres de Lefranc de Pompignan, est bien différente de ce qu’elle était dans les premières éditions, où elle était intitulée Lettre à M. le marquis de Néelle. (B.)