Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 804

Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 362).
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804. — À M. THIERIOT.
À Cirey, le 23 décembre.

Mon cher ami, je n’ai rien à ajouter ni à la peinture que la déesse de Cirey fait de notre vie philosophique, ni aux souhaits de partager quelque temps cette vie avec vous. Si certaine chose que j’ai entamée réussissait, il faudrait bien vous voir à toute force, au bout du compte. Pollion vous donnerait sa chaise de poste jusqu’à Troyes, et à Troyes vous Trouveriez la mienne et des relais. En un jour et demi vous feriez le voyage, et puis

noctes cœnæque deum · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

(Hor., liv. II, sat. vi, v. 65.)

On sait bien qu’on ne pourrait vous garder longtemps, mais enfin on vous verrait.

Je suis d’autant plus fâché de la découvenue des Linant que le frère commençait à faire de bons vers, et que sa tragédie n’était pas en si mauvais train. Quand je vois qu’un disciple d’Apollon pèche par le cœur, je ressens les douleurs d’un directeur qui apprend que sa pénitente est au b……

Ma nièce n’a point voulu de mon campagnard : je ne lui en sais aucun mauvais gré. J’aurais voulu trouver mieux pour elle. Cependant il est certain qu’elle aurait eu huit mille livres de rente au moins ; mais enfin elle ne l’a pas voulu, et vous savez si je veux la gêner. Je ne veux que son bonheur, et je mettrais une partie du mien à pouvoir vivre quelquefois avec elle. Dieu veuille que quelque plat bourgeois de Paris ne l’ensevelisse pas dans un petit ménage avec des caillettes de la rue Thibautodé !. Il me semble qu’elle était faite pour Cirey.