Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 787

Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 340-341).
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787. — À M. THIERIOT.
Novembre.

Je n’ai reçu qu’aujourd’hui votre lettre du 22, mon cher ami. La route est plus longue, mais plus sûre. Nos cœurs peuvent se parler, et voilà ce que je voulais.

Premièrement, je ne vous crois point instruit de la raison qui m’a obligé ; à me priver si longtemps du commerce de mes amis ; mais je crois enfin pouvoir vous la dire. Savez-vous bien qu’on avait accusé plusieurs personnes[1] d’athéisme ? Savez-vous bien que vous étiez du nombre ? Je n’en dirai pas plus. Ah ! mon ami, que nous sommes loin de mériter cette sotte et abominable accusation ! Il est au moins de notre intérêt qu’il y ait un Dieu, et qu’il punisse ces monstres de la société, ces scélérats qui se font un jeu de la plus damnable imposture.

À l’égard de la nouvelle calomnie dont vous me parlez, j’ai cru devoir en écrire à Son Altesse royale[2]. Je vous instruis de cette démarche, afin que vous vous y conformiez, et que vous m’éclairiez, en cas que cette impertinence continue. Le roi de Prusse, avec de grands États, beaucoup d’argent comptant, et une armée de géants, peut très-hien se moquer d’un sot libelle ;

Mais moi chétif, qui ne suis roi, ni rien[3],

je tremble toujours de la calomnie, quelque absurde qu’elle soit, et je suis comme le lièvre[4], qui craignait qu’on ne prit ses oreilles pour des cornes

Tout cela m’attristerait bien ; mais la vie douce dont je jouis me console ; la sagesse, l’esprit, la bonté extrême dont le prince royal m’honore, me rassurent ; et je ne crains rien avec votre amitié[5].

  1. La première de ces personnes était Voltaire. (Cl.)
  2. Voyez la lettre 782.
  3. Ce vers est le cinquième d’une épître adressée à François Ier, en 1534, par Clément. Marot.
  4. La Fontaine, livre V, fable iv.
  5. On lit ordinairement à la suite de cette lettre, trois alinéas, dont un de douze vers, qu’on retrouve presque textuellement dans la lettre 795, où ils nous semblent plus convenablement placés.