Correspondance de Voltaire/1737/Lettre 785

Correspondance : année 1737GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 337-338).
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785. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Cirey, ce 2 novembre.

Tout mon chagrin est donc à présent de ne pouvoir vous embrasser en vous félicitant du meilleur de mon cœur. Il ne me manque pour sentir un bonheur parfait que d’être témoin du vôtres[1]. Que je suis enchanté, mon cher et respectable ami, de ce que vous venez de faire ! que je reconnais bien là votre cœur tendre et votre esprit ferme !

On disait que l’Hymen a l’intérêt pour père ;
Qu’il est triste, sans choix, aveugle, mercenaire :
Ce n’est point là l’Hymen ; on le connaît bien mal.
Ce dieu des cœurs heureux est chez vous, d’Argental ;
La Vertu le conduit, la Tendresse l’anime ;
Le Bonheur sur ses pas est fixé sans retour ;
Le véritable Hymen est le fils de l’Estime,
Et le frère du tendre Amour.

Permettez-moi donc de vous faire ici à tous deux des compliments de la part de tous les honnêtes gens, de tous les gens qui pensent, de tous les gens aimables. Mon Dieu ! que vous avez bien fait l’un et l’autre ! Partagez, madame, les bontés de M. d’Argental pour moi. Ah ! s’il vous prenait fantaisie à tous deux de venir passer quelque temps à la campagne, pendant qu’on dorera votre cabinet, qu’on achèvera votre meuble ; Mme  du Châtelet va vous en écrire sur cela de bonnes. Enfin ne nous ôtez point l’espérance de vous revoir. Les heureux n’ont point besoin de Paris. Nous n’irons point ; il faut donc que vous veniez ici. Vivez heureux, couple aimable, couple estimable. Vendez vite votre vilaine charge de conseiller au parlement, qui vous prend un temps que vous devez aux charmes de la société ; quittez ce triste fardeau qui fait qu’on se lève le matin. Il n’y a pas moyen que le plaisir dont votre bonheur me pénètre me permette de vous parler d’autre chose. Une autre fois je vous entretiendrai de Melpomène, de Thalie ; mais aujourd’hui la divinité à qui vous sacrifiez a tout mon encens.

  1. D’Argental venait d’épouser Jeanne du Bouchet « dont le père, surintendant du duc de Berry, avait, disent les éditeurs de Kehl, dissipé la fortune ; mais il n’avait rien négligé pour l’éducation de sa fille ; elle avait des grâces et de l’esprit, et c’était assez pour le bonheur de M. d’Argental ». Elle mourut en 1774.