Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 682

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 167-168).
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682. — À M. LE MARQUIS D’ARGENS.
À Cirey, le 10 novembre.

J’ai reçu, monsieur, votre lettre par la voie de Nancy ; mais, comme elle n’était point datée, je ne peux savoir si cette route est plus courte que l’autre, et si votre paquet est venu en droiture. J’ai écrit à M. Prévost[1], et j’ai recommandé à Ledet de le prendre pour reviseur de la Henriade, et surtout de la Philosophie de Newton, que j’ai mise à la portée du public, et que je ferai imprimer incessamment.

Je verrai avec grand plaisir le soufflet imprimé que vous allez donner à ce misérable[2] de Bruxelles. Il faut envoyer des copies de tout cela aux connaissances qu’il a dans cette ville, où il est détesté comme ailleurs. Voici un petit rafraîchissement pour ce maraud et pour son associé l’abbé Desfontaines. Cet abbé est un ex-jésuite à qui je sauvai la Grève en 1723, et que je tirai de Bicétre, où il était renfermé pour avoir corrompu, ne vous en déplaise, des ramoneurs de cheminée, qu’il avait pris pour des Amours, à cause de leur fer et de leur bandeau ; enfin il me dut la vie et l’honneur. C’est un fait public ; et il est aussi public qu’au sortir de Bicêtre, s’étant retiré chez le président de Bernières, où je lui avais procuré un asile, il fit, pour remerciement, un méchant libelle contre moi. Il vint depuis m’en demander pardon à genoux ; et, pour pénitence, il traduisit un Essai sur la Poésie épique, que j’avais composé en anglais. Je corrigeai toutes les fautes de sa traduction ; je souffris qu’on imprimât son ouvrage à la suite de la Henriade. Enfin, pour nouveau prix de mes bontés, il se ligue contre moi avec Rousseau. Voilà mes ennemis ; votre estime et votre amitié sont une réponse bien forte à leurs indignes attaques.

Dans ma dernière lettre je vous demandais, monsieur, si vous êtes l´auteur du Mentor cavalier[3] qui se débite à Paris, sous votre nom. J’aurais sur cela plusieurs choses très-importantes à vous dire.

Vous pourriez envoyer à Nancy, à Mme du Châtelet, vos ouvrages ; mais, si vous vouliez vous-même venir faire un petit voyage à Cirey, incognito, vous y trouveriez des personnes qui sont pleines d’estime pour vous, et qui feraient de leur mieux pour vous bien recevoir.

Ne pourriez-vous pas faire insérer dans quelques gazettes que M. le duc d´Aremberg a chassé Rousseau pour punir l´insolence que ce misérable a eue de le citer pour garant des impostures répandues dans son dernier libelle ? Ce n’est pas tout ; il sera poursuivi en justice à Bruxelles. C’est rendre service à tous les honnêtes gens que de contribuer à la punition d’un scélérat.

Adieu, monsieur ; je m’intéresserai toujours à votre gloire et à votre bonheur. Je vous suis attaché tendrement.

  1. L’abbé Prévost.
  2. J.-B. Rousseau.
  3. Voyez la note sur la lettre 651.