Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 647
J’avais oté ce monstre subalterne d’abbé Desfontaines de l´Ode sur l’Ingratitude ; mais les transitions ne s’accommodaient pas de ce retranchement, et il vaut mieux gâter Desfontaines que mon ode, d’autant plus qu’il n’y a rien de gâté en relevant[1] sa turpitude. Je vous envoie donc l’ode ; chacun est content de son ouvrage, cependant je ne le suis pas de m’être abaissé à cette guerre houleuse ; je retourne à ma philosophie ; je ne veux plus connaître qu’elle, le repos et l’amitié.
J’avais deviné juste, vous étiez malade : mon cœur me le disait ; mais si vous ne l’êtes plus, écrivez-moi donc. M. Berger a pressé l’impression de la Henriade, mais je vais le prier d’aller bride en main, afin que les derniers chants se sentent au moins de vos remarques. Envoyez-moi cette pièce de la Ménagerie ; je ne sais ce que c’est. On dit qu’il paraît une Réponse[2] de La Chaussée aux trois impertinentes Épîtres de Rousseau, et qu’elle court sous mon nom. Il faut encore m’envoyer cela : car nous aimons les vers, tout philosophes que nous sommes à Cirey.
Or qu’est-ce que Pharamomd[3] ? A-t-on joué Alzire à Londres ? Écoutez, mon ami, gardez-moi, vous et les vôtres, le plus profond secret sur ce que vous avez lu chez moi[4], et qu’on veut représenter à toute force.
J’ai grand’peur que le petit Lamare, grand fureteur, grand étourdi, grand indiscret, et super hæc omnia ingratissimus, n’ait vu le manuscrit sur ma table : en ce cas, je le supprimerais tout à fait. Émilie vous fait mille compliments. Ne m’oubliez pas auprès de Pollion et de vos amis. Adieu, mon ami, que j’aimerai toujours. Que devient le père d’Aglaure ? Adieu, écrivez-moi sans soin, sans peine, sans effort, comme on parle à son ami, comme vous parlez, comme vous écrivez. C’est un plaisir de griffonner nos lettres ; une autre façon d’écrire serait insupportable. Je les trouve, comme notre amitié, tendres, libres et vraies.