Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 630

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 105-106).
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630. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Ce 24, à Cirey.

Eh, mon Dieu ! charmante Thalie, vous n’avez qu’à dire, vous ne sauriez me faire plus de plaisir ; vous voulez quatre vers à la fin ; et vite, vite, les voilà.

(Suivent quatre vers raturés.) Non, ne les voilà pas. Vous trouverez ces vers à la fin de ma lettre.

Cela n’est pas trop bon, je le sais bien ; mais aussi cela ne s’est pas fait attendre ; et puis, charmante Thalie, à vous permis de les jeter au feu.

Dieu retienne nos gens à la campagne, et notre enfant sur le théâtre jusqu’à la Saint-Martin !

En vérité, j’espère assez de cette pièce de Gresset ; quand vous répandrez, par votre jeu, un peu de comique sur ce froid Gresset, vous lui ferez grand bien. Ce Gresset, avec cela, pourra réussir ; mais s’il tombe, j’abandonne ce Gresset tout net, ce sera la pure faute de ce Gresset.

Mais quand vous me faites l’honneur de m’écrire, vous ne me dites jamais : Nous avons joué cette pièce, notre théâtre va bien. Vous ne me dites rien de la république ; vous me prenez donc pour un membre retranché du corps ?

En vous écrivant, belle Thalie, en songeant que c’est à vous que je m’adresse, je m’aperçois que vos vers, que vous vouliez, et que je vous ai faits, ne valent pas le diable.

Je les corrige donc ainsi :

MADAME DE CROUPILLAC, à Fierenfat.

C’est fort bien dit ; à la fin je raurai
Mon président, je vous le rangerai ;
Je vous… Allons, qu’on nous conjoigne ensemble.
Viens va, pédant ; qu’on m’épouse, et qu’on tremble.


Cela me paraît passablement falot ; jugez-en : vous vous connaissez assurément en bonne plaisanterie. Je ne m’y connais guère, et je ne me crois pas du tout plaisant.

Je supplie votre aréopage de faire une brigue pour rétablir ce beau mot de cocu. Si cet admirable mot est banni de la langue française, il n’y a plus moyen de travailler. Thalie, Thalie, si j’étais à Paris, je ne travaillerais que pour vous. Vous me feriez un animal amphibie, comique six mois de l’année, et tragique six autres mois ; mais il y a dans le monde un diable de Newton qui a trouvé précisément combien le soleil pèse, et de quelle couleur sont les rayons qui composent la lumière : cet étrange homme me tourne la tête ; daignez m’écrire pour me rendre aux Muses. Je vous suis tendrement dévoué pour jamais ; ne m’oubliez pas auprès des deux aimables frères.

Je suis à vos pieds.