Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 625

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 98-100).
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625. – À M. BERGER.
À Cirey …

Il y a du malheur sur les paquets que vous m’envoyez, mon aimable correspondant. Je n’ai encore rien reçu de ce qu’on remit entre les mains de M. du Châtelet, à son départ de Paris. Ce petit ballot arriva trop tard pour être mis dans la chaise, déjà trop chargée, et fut envoyé au coche ; Dieu sait quand je l’aurai !

L’aventure de M. Rasle ne peut être vraie. Je n’ai ni créancier qui puisse m’arrêter, ni rien par-devers moi qui doive me faire craindre le gouvernement sage sous lequel nous vivons. Je suis loin de penser que le magistrat en question soit mon ennemi ; mais, s’il l’était, il n’est pas en son pouvoir de nuire à un honnête homme.

La Lettre[1] dont vous me parlez, et qu’on doit mettre à la tête de la Henriade, est de M. Cocchi, homme de lettres très-estimé. Elle fut écrite à M. Rinuccini, secrétaire et ministre d’État à Florence ; elle est traduite par le baron Elderchen. Je ne me souviens pas qu’il y ait un seul endroit où M. Cocchi me mette au-dessus de Virgile. Sa lettre m’a paru sage et instructive. Si c’était ici une première édition de la Henriade, j’exigerais qu’on n’imprimât pas cette Lettre ; trop d’éloges révolteraient les lecteurs français. Mais, après vingt éditions, on ne peut plus avoir ni orgueil ni modestie sur ses ouvrages ; ils ne nous appartiennent plus, et l’auteur est hors de tout intérêt. Au reste, n’ayant point encore reçu les exemplaires du poème que j’avais demandés, je ne puis rien répondre sur ce qui concerne l’édition.

Le petit poëme que vous m’avez envoyé est d’un pâtissier[2] ; il n’est pas le premier auteur de sa profession. Il y avait un pâtissier fameux qui enveloppait ses biscuits dans ses vers, du temps de maître Adam, menuisier de Nevers. Ce pâtissier disait que, si maître Adam travaillait avec plus de bruit, pour lui il travaillait avec plus de feu. Il paraît que le pâtissier d’aujourd’hui n’a pas mis tout le feu de son four dans ses vers.

Je viens de recevoir une lettre de M. Sinetti ; mais il n’a point encore reçu les Alzire.

Le gentil Bernard devrait bien m’envoyer sa Claudine ; mais que fait le gentil La Bruère ?

Je ne vous dis rien sur l’Orosmane dont vous me parlez ; apparemment que le mot de cette énigme est dans quelque lettre de vous que je n’ai point encore reçue. Quand Thieriot sera-t-il à Paris ? Adieu.

  1. Voyez cette lettre à la tête de la Henriade, tome VIII, page 29.
  2. Charles-Simon Favart, né le 3 novembre 1710, mort le 18 mai 1793, et qui a mis au théâtre trois des contes en vers de Voltaire (Ce qui plait aux dames, Gertrude ou l’Éducation d’une fille, et la Bégueule), avait, en 1734, remporté le prix des Jeux floraux. Il envoya plus tard, à la même académie, un poëme de cent vers intitulé Alphonse de Gusman. C’est probablement celui dont parle Voltaire. (B.)