Correspondance de Voltaire/1736/Lettre 566

Correspondance : année 1736GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 34 (p. 35-38).
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566. — Á M. LE CHEVALIER FALKENER[1].
À Cirey en Champagne, ce 22 février 1736.

Now the honest, the good and plain philosopher of Wandsworth, represents his king and country, and is equal to the Grand-Seignior. Certainly England is the only country where commerce and virtue are to be rewarded with such an honour. If any grief (concern) rests still upon my mind, my dear friend (for friend you are, tho’ a minister), it is that I am unable to be a witness of your new sort of glory and felicity. Had I not regulated my life after a way which makes me a kind of solitaire, I would fly to that nation of savage slaves, whom I hate, to see the nian I love. What wouldmiy entertainment be ! and how full the overflowings of my heart, in contemplating my dear Falkener, amidst so many Infidels of all hues, smiling with his humane philosophy at the superstitious follies that reign on the one side at Stamboul, and on the other at Galata ! I would not admire, as milady Mary Wortbley Montagu says,

The vizir proud, distinguished from the rest ;
Six slaves in gay attire, his bridle hold,
His bridle rich with gems, his stirrups gold !

For, how the devil ! should I admire a slave upon a horse ? My friend Falkener I sbould admire !

But I must bid adieu ! to the great town of Constantin, and stay in my little corner of the world, in that very same castle where you were invited to come in your way to Paris, in case you sbould have taken the road of Calais to Marseille[2]. Your taking an other way, was certainly a sad disappointment for me, and especially to that lady who makes use of your Locke and of more of your other books. Upon my word ! a French lady who reads Newton, Locke, Addison and Pope, and who retires from the bubbles and the stunning noise of Paris, to cultivate in the country the great and amiable genius she is born with, is more valuable than your Constantinople and all the Turkish empire !

You may confidently write to me, by the way of Marseille, chez Mme  la marquise du Châtelet, à Cirey en Champagne. Be sure I shall not stir from that spot of ground, before the favour of your letter comes to me.

You well see, perbaps, a renegade, the bastard offspring of an Irishman, who went at Paris, by the name of Mac-Carthy ; a busy, bold, stirring and not a scrupulous man. He had the honour, by chance, of being known to the marquise du Châtelet ; but was expelled from her bouse for his rogueries and impudence, before he left Paris, with two young men in debt, whom he seduced to turn musulmen. His story and his character must be known at Constantinople. I would fain know what sort of life he leads now with the followers of Mohammed. But, what concerns me much more, what I long more to be informed of is, whether you are as happy as you seem to be. Have you got a little private seraglio ? Or, are you to be married ? Are you overstoked with business ? Does your indolence or laziness comply with your affairs ? Do you drink much of that good Cyprus wine ? For my part, I am here too happy, though my health is ever very weak :

Excepto quod non simul esses, eætera lætus.

Addio ! mio carissimo ambasciadore ! Addio ! le baccio umilmente le mani ! L’amo, e la reverisco[3] !

  1. Editeurs, de Cayrol et François.
  2. Voyez la lettre 508.
  3. Traduction : Voilà donc l′honnête, le bon et simple philosophe de Wandsworth, qui représente son roi et son pays, et est l’égal du Grand Seigneur ! Certainement l’Angleterre est le seul pays où le commerce et la vertu sont récompensés avec autant d’éclat.. Je n’ai qu’un seul chagrin, mon cher ami, car vous êtes bien mon ami, quoique ministre, c’est de ne pouvoir être témoin de votre nouvelle gloire et de votre bonheur. Si je ne m’étais pas fait un plan de vie qui fait de moi une espèce de solitaire, j’aurais volé vers ce pays d’esclaves sauvages que je déteste, pour aller voir l′homme que j’aime. Que je serais heureux ! avec quelles délices mon cœur s’épancherait en voyant mon cher Falkener, au milieu de tant d’infidèles de toutes couleurs, sourire avec sa philosophie si humaine de toutes les folies superstitieuses qui règnent d’un côté à Stamboul, et de l’autre à Galata ! Je n’admirerais pas, comme milady Mary Worthley Montagu, « le superbe visir se distinguant de la foule, six esclaves élégamment parés tenant la bride de son cheval, ses rênes ornées de pierreries et ses étriers d’or » ; car comment, diable ! pourrais-je admirer un esclave monté sur un cheval ? Ce que j’admirerais, c’est mon ami Falkener. Mais il faut que je dise adieu à la grande ville de Constantin, et que je reste dans mon petit coin du monde, dans ce même château où vous fûtes invité à venir en vous rendant à Paris, si par bonheur vous eussiez pris la route de Calais à Marseille. Mais vous prîtes un autre chemin : ce fut assurément un cruel mécompte pour moi, et surtout pour cette jeune dame qui use familièrement de votre Locke et même de vos autres écrivains. Par ma foi, une Française qui lit Newton, Locke, Addison et Pope, et qui laisse les bagatelles et le fracas étourdissant de Paris pour cultiver à la campagne le grand et aimable génie qu’elle a reçu de la nature, vaut mieux que votre Constantinople et l’empire turc tout entier. Vous pouvez m’écrire en toute assurance par Marseille, chez Mme  la marquise du Châtelet, à Cirey en Champagne. Soyez certain que je ne bougerai pas de ce coin de terre avant d’être favorisé d’une lettre de vous. Vous verrez peut-être un renégat, bâtard d’un Irlandais, qui vint à Paris sous le nom de Mac-Carthy, homme intrigant, hardi, remuant et très-peu scrupuleux. Il eut par hasard l’honneur d’être connu de la marquise du Chàtelet ; mais il fut chassé de sa maison pour ses friponneries et son insolence, avant d’avoir quitté Paris avec deux jeunes gens endettés qu’il voulait par ses manœuvres convertir à Mahomet. Son histoire et sa réputation doivent être connues à Constantinople. Je serais curieux de savoir quelle espèce de vie il mène à présent parmi les disciples du prophète. Mais ce qui m’intéresse beaucoup plus, ce qui me préoccupe bien plus vivement, c’est de savoir si vous êtes aussi heureux que vous semblez l’être. Avez-vous un petit sérail particulier, ou bien songez-vous à vous marier ? Êtes-vous accablé d’affaires ? Comment votre indolence, votre paresse, s’accommodent-elles de vos travaux ? Buvez-vous beaucoup de ce bon vin de Chypre ? Quant à moi, je suis ici trop heureux, quoique ma santé soit toujours très-faible :

    Excepto quod non simul esses, eætera lætus.


    Adieu, adieu, mon cher ambassadeur ; adieu, je baise bien humblement les mains à Votre Seigneurie. Je l’aime et la révère. (A. F.)