Correspondance de Voltaire/1735/Lettre 528

Correspondance de Voltaire/1735
Correspondance : année 1735GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 556-557).
◄  Lettre 527
Lettre 529  ►

528. — Á M. L’ABBÉ D’OLIVET.
À Cirey, par Vassy en Champagne, ce 30 novembre.

Je vous prie, mon cher maître en Apollon, d’envoyer à mon logis, vis-à-vis Saint-Gervais, votre petit antidote[1] contre le style impertinent dont nous sommes inondés. C’est une prescription contre la barbarie. J’attends ce Discours avec très-grande impatience : joignez-y la Vie du martyr[2] de Toulouse ; je ne la garderai qu’un jour, et on la reportera chez vous.

Je vous abandonne Marc-Antoine ; l’assassin de votre bon ami[3], que vous avez embelli en français, mérite bien votre indignation. Je ne vous avais envoyé cette scène[4] que pour vous faire connaître le goût du théâtre anglais, et point du tout pour vous faire aimer Antoine.

Avez-vous lu une lettre du Père Tournemine, qu’il a fait imprimer dans le Journal de Trévoux, au mois d’octobre[5] ? Il dispute bien mal contre M. Locke, et parle de Newton comme un aveugle des couleurs. Si des philosophes s’avisaient de lire cette brochure, ils seraient bien étonnés, et auraient bien mauvaise opinion des Français. En vérité nous sommes la crème fouettée de l’Europe. Il n’y a pas vingt Français qui entendent Newton. On dispute contre lui à tort et à travers, sans avoir lu ses démonstrations. Il me semble que je vois Thomas Diafoirus[6] qui soutient thèse contre les circulateurs. Nous avons ici un noble vénitien[7] qui entend Newton comme les Éléments d’Euclide. Cela n’est-il pas honteux pour nos Français ?

L’Académie des inscriptions, en corps, a voulu faire une devise (belle occupation ! ) pour les opérations mathématiques[8] qu’on va faire vers l’équateur. Ils ont mis, dans leur inscription, que l’on mesure un arc du mèridien sous l’èquateur. Est-il possible que toute une Académie fasse une ânerie pareille, et qu’il faille que M. Maffei[9], un étranger, redresse nos bévues ?

Mais, dans votre Académie, pourquoi ne recevez-vous pas l’abbé Pellegrin ? Est-ce que Danchet serait trop jaloux ? Vous savez qu’il y a vingt ans que je vous ai dit que je ne serais jamais d’aucune académie[10]. Je ne veux tenir à rien dans ce monde, qu’à mon plaisir ; et puis je remarque que telles académies étouffent toujours le génie au lieu de l’exciter. Nous n’avons pas un grand peintre, depuis que nous avons une Académie de peinture ; pas un grand philosophe formé par l’Académie des sciences. Je ne dirai rien de la française. La raison de cette stérilité dans des terrains si bien cultivés est, ce me semble, que chaque académicien, en considérant ses confrères, les trouve très-petits, pour peu qu’il ait de raison, et se trouve très-grand en comparaison, pour peu qu’il ait d’amour-propre. Danchet se trouve supérieur à Mallet, et en voilà assez pour lui ; il se croit au comble de la perfection. Le petit Coypel[11] trouve qu’il vaut mieux que Detroy le jeune, et il pense être un Raphaël. Homère et Platon n’étaient, je crois, d’aucune académie. Cicéron n’en était point, ni Virgile non plus. Adieu, mon cher abbé ; quoique vous soyez académicien, je vous aime et vous estime de tout mon cœur ; vous êtes digne de ne l’être pas. Vale, et me ama.

Mandez-moi quel est le jésuite qui a fait les Mémoires pour servir à l’Histoire du dernier siècle, et celui qui a fait les Mémoires chronologiques[12] sur les matières ecclésiastiques. Mais vous, que faites-vous ? Ne m’en direz-vous point de nouvelles.

  1. Discours prononcé le 25 août 1735, avant la distribution des prix, par l’abbé d’Olivet, directeur de l’Académie française.
  2. La Vie et les Sentiments de Lucilio Vanini (par D. Durand), 1717, in-12. Voyez tome XVII, page 470.
  3. D’Olivet avait déjà traduit plusieurs ouvrages de Cicéron.
  4. La scène viii. acte III, de la Mort de César.
  5. Pages 1913 à 1935 ; elle est intitulée Lettres sur l’immortalité de l’âme et les sources de l’incrédulité. Voltaire y répondit par la lettre qui porte le n° 530.
  6. Le Malade imaginaire, acte II, scène vi.
  7. Algarotti ; voyez la lettre 522.
  8. Voyez la lettre 475.
  9. Voyez la note, tome IV, page 179.
  10. Ce serait donc à vingt-un ans que Voltaire aurait pris cette résolution, qu’il n’a pas tenue ; voyez la note sur la lettre 282.
  11. Voyez la lettre 60.
  12. Ils sont de d’Avrigny ; voyez la note tome XIV, page 35.