Correspondance de Voltaire/1734/Lettre 446

Correspondance de Voltaire/1734
Correspondance : année 1734GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 458-459).
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446. — Á M. BERGER.
Cirey, le 2 décembre.

Je ne sais point, monsieur, partager les profits d’une affaire dans laquelle je ne mets point de fonds ; que je ne connais, et que je ne veux connaître que pour rendre service. J’ai déjà écrit à la personne en question pour vous faire avoir l’intérêt que vous désirez. Je vous instruirai de sa réponse aussitôt que je l’aurai reçue. L’intérêt ne m’a jamais tenté, et je n’ai jamais eu, sur cet article, autre chose à me reprocher que d’avoir fait plaisir, et d’avoir prodigué mon bien à des amis ingrats. L’abbé Mac-Carthy[1] n’est pas le dixième qui m’ait marqué de l’ingratitude ; mais c’est le seul qui ait été empalé. Parmi les infâmes calomnies dont j’ai été accablé, l’accusation d’avoir eu part à la publication des Lettres philosophiques m’a été une des plus sensibles. On disait que je les faisais vendre pour en retirer de l’argent, tandis qu’en effet je n’épargnais ni soins ni argent pour les supprimer. Je suis bien aise d’être loin d’un pays où de si lâches calomnies ont été ma seule récompense, et je crois que je n’y reviendrai de longtemps.

Je vous remercie, monsieur, de l’amitié que vous voulez bien me conserver, et des nouvelles que vous me mandez. Si j’avais fait quelque chose de nouveau, en poésie, je me ferais un plaisir de vous l’envoyer ; mais les choses auxquelles je m’occupe présentement sont d’une tout autre nature. Je vous prie seulement, à propos de poésie et de calomnie, de vouloir bien vous opposer à l’injure que l’on m’a faite de glisser le nom de Crozat dans l’Épître à Émilie. Je ne connais et n’ai jamais vu ni M. Crozat l’aîné, ni monsieur son frère, et je ne vois pas pourquoi on a été fourrer là leur nom, si ce n’est pour me faire un ennemi de plus ; mais, si ces messieurs sont sages, ils doivent faire comme moi, qui regarde avec un profond mépris toutes ces misères. J’écrirai bientôt à M. Sinetti, et je prierai M. Demoulin de faire un petit ballot de livres que je veux lui envoyer. Je vous supplie, monsieur, d’être persuadé de mon amitié, et de me conserver la vôtre. Permettez-moi d’assurer M. Bernard de mon estime et de mon amitié.

J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Voyez les lettres 134, 250, 379.