Correspondance de Voltaire/1734/Lettre 422

Correspondance de Voltaire/1734
Correspondance : année 1734GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 443-444).
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422. — Á M. DE FORMONT.
Ce 24 juillet.

Ah ! que j’aime votre leçon !
Ah ! qu’il est doux d’en faire usage,
Pâmé dans les bras de Manon,
Ou folâtrant avec un page ;
De passer les jours doucement
À se contenter, à se plaire,
Plutôt que d’aller hautement
Choquer les erreurs du vulgaire !

Je n’irai pas plus loin, car voilà, mon cher ami, la trentième lettre[1] que j’écris aujourd’hui. Je suis excédé des fatigues d’un voyage et de celle d’écrire. Je sens pourtant que mes forces reviennent avec vous. Votre lettre est datée d’un mercredi à Canteleu ; mais, comme il y a un mois que je mène une vie errante, je ne sais si ce mercredi était en juin ou en juillet. Votre ami, dont la dernière lettre est du 27 juin, ne me parle point de la brûlure du ballot. Il faut apparemment que ce grand exemple de justice n’ait été fait que depuis peu.

Parve, nec invideo, sine me, liber, ibis in ignem.

(Ovid., Trist., liv. I, elog. i.)

Toute la terre me persécute. Il n’y a pas jusqu’au petit marquis, c’est le petit Lézeau que je veux dire, qui se mêle de vouloir que j’aille à la messe, en cas que je vienne passer quelque temps dans les terres de ce seigneur. Mon cher Formont, j’aimerais mieux entendre vêpres et la grand’messe avec vous que d’entendre seulement un évangile chez lui. Je serais charmé de pouvoir aller dans quelque temps à Canteleu ; mais la chose me paraît hien difficile. Me voici bientôt excommunié dans toutes les paroisses, et brûlé dans tous les parlements : cela est beau, j’en conviens ; mais cette gloire est un peu embarrassante ; je vous avoue que,

Nec vixit male, qui natus moriensque fefellit.

(Hor., lib. I, ep. xvii v. 10.)

Et bene qui latuit bene vixit.

(Ovid., Trist., II, el. iv.)

Mais que voulez-vous que fasse un pauvre homme, quand on débite des livres sous son nom, qu’on l’excommunie, et qu’on le brûle, malgré qu’il en ait ? Adieu, mon cher Formont ; je vous aime tendrement pour toute ma vie,

  1. De ces trente lettres, il n’en reste que deux.