Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 380

Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 399-400).
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380. — Á M. BROSSETTE.
Le 22 novembre.

Je regarde, monsieur, comme un de mes devoirs de vous envoyer les éditions de la Henriade qui parviennent à ma connaissance : en voici une qui, bien que très-fautive, ne laisse pas d’avoir quelque singularité, à cause de plusieurs variantes qui s’y trouvent, et dans laquelle on a, de plus, imprimé mon Essai sur l’Épopée tel que je l’ai composé en français, et non pas tel que M. l’abbé Desfontaines l’avait traduit, d’après mon Essai anglais. Vous trouverez peut-être assez plaisant que je sois un auteur traduit par mes compatriotes, et que je me sois retraduit moi-même. Mais si vous aviez été deux ans, comme moi, en Angleterre, je suis sûr que vous auriez été si touché de l’énergie de cette langue que vous auriez composé quelque chose en anglais.

Cette Henriade a été traduite en vers, à Londres et en Allemagne. Cet honneur, qu’on me fait dans les pays étrangers, m’enhardit un peu auprès de vous. Je sais que vous êtes en commerce avec Rousseau, mon ennemi ; mais vous ressemblez à Pomponius Atticus, qui était courtisé à la fois par César et par Pompée. Je suis persuadé que les invectives de cet homme, en qui je respecte l’amitié dont vous l’honorez, ne feront que vous affermir dans les bontés que vous avez toujours eues pour moi. Vous êtes l’ami de tous les gens de lettres, et vous n’êtes jaloux d’aucun. Plût à Dieu que Rousseau eût un caractère comme le vôtre ! Permettez-moi, monsieur, que je mette dans votre paquet un autre paquet pour M. le marquis de Gaumont : c’est un homme qui, comme vous, aime les lettres, et que le bon goût a fait sans doute votre ami.

Quel temps, monsieur, pour vous envoyer des vers !

Hinc movet Euphrates, illinc Germania bellum :
· · · · · · · · · · · · · · · sævit toto Mars impius orbe.

(Virg., Georg., I, v. 509.)

· · · · · · · · · · · · · · · Et carmina tantum
Nostra valent, Lycida, tela inter Martia, quantum
Chaonias dicunt, aquila veniente, columbas.

(Egl., ix, v. 11.)

On a pris le fort de Kelh ; on se bat en Pologne ; on va se battre en Italie.

I nunc, et versus tecum meditare canoros.

(Hor., liv. II, ep. ii, v. 76.)

Voilà bien du latin que je vous cite ; mais c’est avec des dévots comme vous que j’aime à réciter mon bréviaire.