Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 350

Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 362-363).
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350. — À M. LE COMTE DE CAYLUS.
Juillet.

Je vais vous obéir avec exactitude, monsieur ; et, si l’on peut mettre un carton à l’édition d’Amsterdam[1], il sera mis, n’en doutez pas. Je préfère le plaisir de vous obéir à celui que j’avais de vous louer. Je n’ai pas cru qu’une louange si juste pût vous offenser. Vos ouvrages sont publics ; ils honorent les cabinets des curieux ; mes portefeuilles en sont pleins ; votre nom est à chacune de vos estampes ; je ne pouvais deviner que vous fussiez fâché que des ouvrages publics, dont vous vous honorez, fussent loués publiquement.

Les noirceurs que j’ai essuyées sont aussi publiques et aussi incontestables que le reste ; mais il est incontestable aussi que je ne les ai pas méritées, que je dois plaindre celui[2] qui s’y abandonne, et lui pardonner, puisqu’il a su s’honorer de vos bontés, et vous cacher les scélératesses dont il est coupable. C’est pour la dernière fois que je parlerai de sa personne[3] ; pour ses ouvrages, je n’en ai jamais parlé. Je souhaite qu’il devienne digne de votre bienveillance. Il me semble qu’il n’y a que des hommes vertueux qui doivent être admis dans votre commerce. Pour moi, j’oublierai les horreurs dont cet homme m’accable tous les jours si je peux obtenir votre indulgence.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec tous les sentiments respectueux que j’ai toujours eus pour vous, etc.

  1. Voltaire avait mis dans sa première édition du Temple du Goût quatre vers très-flatteurs pour M. le comte de Caylus. La modestie du comte en fut blessée, et il en témoigna son mécontentement à l’auteur, l’invitant à supprimer cet éloge dans les éditions suivantes. Voici les vers :

    Caylus ! tous les arts te chérissent ;
    Je conduis tes brillants desseins,
    Et les Raphaëls s’applaudissent
    De se voir gravés par tes mains.

    À ces vers Voltaire substitua le suivant :

    Brassac, chantez ; gravez, Caylus.

    Voyez la lettre du comte de Caylus, n° 341.

  2. L’abbé Desfontaines.
  3. Voltaire n’a pas tenu parole, comme on sait ; voyez tome XXIII, pages 25, 27.