Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 337

Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 345-346).
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337. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce vendredi, 29 mai.

Mille remerciements, mon cher ami, de vos attentions pour mon Hambourgeois. Il n’y a que ceux qui ont une fortune médiocre qui exercent bien l’hospitalité. Cet étranger doit être bien content de son voyage, s’il vous a vu ; et je vous avoue que je vous l’ai adressé afin qu’il pût dire du bien des Français, à Hambourg. Je prie notre ami Formont de lui donner à souper ; il s’en ira charmé.

Ah ! qu’à cet honnête Hambourgeois,
Candide et gauchement courtois,
Je porte une secrète envie !
Que je voudrais passer ma vie,
Comme il a passé quelques jours,
Ignoré dans un sûr asile,
Entre Formont et Cideville,
C’est-à-dire avec mes amours !

Que fait cependant le joufflu abbé de Linant ? J’avais adressé mon citadin de Hambourg chez la mère de notre abbé. Ce n’est pas que je regarde le b…… de la Ville de Mantes comme une bonne hôtellerie : il y a longtemps que j’ai dit peu chrétiennement ce que j’en pensais[1] ; mais je voulais qu’il fût mal logé, mal nourri, et qu’il vît l’abbé Linant, que je crois aussi candide que lui, et qui lui aurait tenu bonne compagnie. Quand l’abbé voudra revenir à Paris, je lui louerai un trou près de chez moi, et il sera d’ailleurs le maître de dîner et de souper tous les jours dans ma retraite. Quand, par hasard, je n’y serai point, il trouvera d’honnêtes gens qui lui feront bonne chère, en mon absence, mais qui ne lui parleront pas tant de vers que moi. J’ai d’ailleurs une espèce d’homme de lettres[2] qui me lit Virgile et Horace tous les soirs, sans trop les entendre, et qui me copie très-mal mes vers ; d’ailleurs bon garçon, mais indigne de parler à l’abbé Linant. Je voudrais avoir un autre amanuensis[3] ; mais je n’ose pas renvoyer un homme qui lit du latin.

J’ai fait partir aujourd’hui, à votre adresse, un petit paquet contenant Charles XII, revu, corrigé, et augmenté, avec les Réponses à La Motraye. Vous y trouverez aussi la tragédie d’Èriphyle, que j’ai retravaillée avec beaucoup de soin. Lisez-la, jugez-la, et renvoyez-la par le coche, ou plutôt par l’abbé Linant.

Au lieu de m’envoyer les épreuves sous le nom de Dubreuil, il vaut mieux me les envoyer sous le nom de Demoulin, rue de Long-Pont, près de la Grève. Je les recevrai plus tôt et plus sûrement.

Je vous demande en grâce que toutes les feuilles des Lettres soient remises en dépôt, chez vous ou chez Formont ; et qu’aucun exemplaire ne paraisse dans le public que quand je croirai le temps favorable.

Il faudra que Jore m’en fasse d’abord tenir cinquante exemplaires. À l’égard de Charles XII, il peut en tirer sept cent cinquante, et m’en donner deux cent cinquante pour ma peine.

Il m’avait promis de m’envoyer la Henriade : il n’y en a plus chez les libraires ; ayez la bonté, je vous prie, de lui mander qu’il la fasse partir sans délai.

Je vous demanderais bien pardon de tant d’importunités, si je ne vous aimais pas autant que je vous aime. V.

  1. L’épitre en prose et en vers, dont on a donné un fragment dans une note de la lettre du 2 mars 1731, contenait des vers peu chrétiens, qui furent coupés avec des ciseaux par Cideville devenu dévot. C’est à cette épître, du mois de mars 1731, que Voltaire fait allusion. (Cl.)
  2. Il s’appelait Céran. Voltaire en parle dans ses lettres à Cideville de fin décembre 1734 et aux auteurs de la Bibliothèque française, du 20 septembre 1736, et le dit parent de J.-B. Rousseau.
  3. Secrétaire, écrivain, copiste.