Correspondance de Voltaire/1733/Lettre 322

Correspondance de Voltaire/1733
Correspondance : année 1733GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 332-333).
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322. — Á M. DE CIDEVILLE.
12 avril.

Ce Temple du Goût, cet amas de pierres de scandale, est tellement devenu un nouvel édifice qu’il n’y a pas deux pans de muraille de l’ancien. Ceux qui l’ont pris sous leur protection veulent qu’on l’imprime avec privilège, et qu’il soit affiché dans Paris, afin de fermer la bouche aux malins faiseurs d’interprétations. Il est accompagné d’une Lettre[1] en forme de préface ; on y pourrait joindre le Temple de l’Amitié, avec quelques pièces fugitives ; et Jore pourrait s’en charger.

À l’égard des Lettres anglaises, je vous prie, mon cher ami, de me mander si Jore y travaille. On a fait marché, à Londres, avec ce pauvre Thieriot, à condition que les lettres ne paraîtraient pas en France pendant la première chaleur du débit à Londres et à Amsterdam. Il a même été obligé de donner caution. Ainsi quelle honte pour lui et pour moi, si le malheur voulait qu’on en pût voir une feuille en ce pays-ci avant le temps ! Je crois vous avoir mandé qu’Adélaïde du Guesclin est dans son cadre. Il ne s’agit plus que de la transcrire pour vous renvoyer. Voici bien de la besogne.

Nous avons encore l’Histoire de Charles XII, que Jore veut réimprimer. J’ai écrit en Hollande qu’on m’envoyât un exemplaire par la poste ; mais je ne l’ai pas encore reçu. Si Jore avait quelques correspondants plus exacts, il pourrait en faire venir un en droiture ; sinon je lui ferai tenir les corrections et additions, avec les réponses à La Motraye.

J’ai bien envie de venir faire un petit tour à Rouen, et de raisonner de tout cela avec vous. Voici le temps

Où les zéphyrs de leurs chaudes haleines
Ont fondu l’écorce des eaux.

( J.-B. Rousseau, liv, III, od. vii,)

Quel plaisir de vous lire Adélaïde, et même Ériphyle, revue et corrigée ! J’entends quel plaisir pour moi, car, de votre côté, ce sera complaisance.

Je n’ai encore montré qu’un acte à Formont. Il m’a parlé de votre idée anacréontique[2]. Vous savez que l’exécution seule décide du mérite du sujet. On peut bien conseiller sur la manière de traiter une pièce, mais non pas sur le fond de la chose. C’est à l’auteur à se sentir.

· · · · · · · · · · Cui lecta potenter erit res,
Nec facundia deseret hunc, nec lucidus ordo.

(Hor, Art. poet., v. 40.)

Vale ; je vous aime de tout mon cœur.

  1. Voyez cette Lettre en tête du Temple du Goût, tome VIII.
  2. Anacréon, petite pièce lyrique de Cideville. (Cl.)