Correspondance de Voltaire/1732/Lettre 263

Correspondance de Voltaire/1732
Correspondance : année 1732GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 266-267).
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263. — À M. DE CIDEVILLE
Ce vendredi, 16 mai 1732.

J’ai reçu aujourd’hui Ériphyle ; mais, avant de vous la renvoyer, il faut que vous me jugiez en cour de petit commissaire. Voici ce que j’allègue contre moi-même. Je fais la fonction de l’avocat du diable contre la canonisation d’Ériphyle.

1o En votre conscience, n’avez-vous pas senti de la langueur et du froid, lorsqu’au troisième acte Théandre vient annoncer que les furies se sont emparées de l’autel, etc. ? Ce que dit la reine à Alcméon, dans ce moment, est beau ; mais on est étonné que ce beau ne touche point. La raison en est, à mon avis, que la reine est trop longtemps bernée par les dieux. Elle n’a pas le loisir de respirer ; elle n’a pas un instant d’espérance et de joie : donc elle ne change point d’état, donc elle ne doit point remuer le spectateur, donc il faut retrancher cette fin du troisième acte.

2o Le quatrième acte commence avec encore plus de froid. Théandre y fait un monologue inutile. La scène qu’il a ensuite avec Alcméon me paraît mauvaise, parce que Théandre n’y dit rien de ce qu’il devrait dire. Ses doutes équivoques ne con viennent point au théâtre. S’il sait qu’Alcméon est fils de la reine, il doit l’en avertir ; s’il n’en sait rien, il ne doit rien en soupçonner. Cette scène devrait être terrible, et n’est pas supportable. L’ombre venant après cette scène ne fait pas l’effet qu’elle devrait faire, parce qu’elle en dit moins que Théandre n’en a fait entendre. Enfin la reine ne finit point cet acte par les sentiments qu’elle devrait avoir. Elle ne marque que le désir d’épouser Alcméon. Il faut qu’elle exprime des sentiments de tendresse, d’horreur, et d’incertitude.

Il me paraît qu’il y a très-peu à réformer au cinquième, et rien au premier ni au second.

Prononcez donc, mes chers amis,
Vous êtes ma cour souveraine ;
Et je recevrai vos avis
Comme un arrêt de Melpomène.