Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 229

Correspondance de Voltaire/1731
Correspondance : année 1731GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 236-237).
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229. — À M. DE CIDEVILLE.
À Paris, 2 novembre 1731.

Mon cher et aimable Cideville, ayant ouï dire que vous étiez à la campagne, j’ai adressé à M. de Formont un paquet de Charles XII, dans lequel vous trouverez un exemplaire pour le premier président, et un autre pour M. Desforges[1]. Il y a aussi une lettre pour le premier président, que j’aurais bien souhaité qu’il pût recevoir de votre main, ut gratior foret ; mais, comme le temps me presse un peu, j’ai supplié M. de Formont de faire rendre la lettre et le livre, en cas que vous fussiez absent, me flattant bien qu’à votre retour vous réparerez par quelques petits mots ce qu’aura perdu ma lettre à n’être point présentée par vous. Je vous prierai bien aussi de continuer à mettre M. Desforges dans mes intérêts. Il faut qu’il continue ses bons procédés ; et, puisqu’à votre considération il a favorisé l’impression du roi de Suède, il faut qu’il en empêche la contrefaçon, sans quoi il ne m’aurait rendu qu’un service onéreux ; et, comme le voilà mis, grâces à vos bontés, en train de m’obliger, il ne lui en coûtera pas davantage d’interdire tout d’un temps l’entrée de l’édition de mes œuvres[2], faite à Amsterdam, chez Ledet et Desbordes, laquelle couperait la gorge à notre petite édition de Rouen, que je compte venir achever cet hiver.

Voilà bien des importunités de ma part ; mais la plus forte, mon cher ami, sera mon empressement pour Daphnis et Chloè, pour Antoine et Clèopâtre, et pour la dame Io[3]. J’attends avec impatience cet ouvrage, dont j’ai une idée si avantageuse. Que les rapports des procès ne fassent point tort aux muses.

..........Mox, ubi publicas
Res ordinaris, grande munus
Cecropio répètes cothurno.

(Hor., lib. II, od. i, v. 10.)

Á l’égard de mon cothurne, il ne passera qu’après celui de La Grange[4] : ainsi Ériphyle ne paraîtra probablement qu’en février. Tant de délais sont bien favorables. Êriphyle n’en vaudra que mieux ; mais, s’ils font du bien à la pièce, ils font bien du mal à l’auteur, qu’ils privent trop longtemps de la douceur de vivre avec vous. Je suis toujours malade, toujours accablé des souffrances qui me persécutaient à Rouen ; mais je vous avais pour ma consolation, et vous me manquez aujourd’hui.

Ces entretiens charmants, ce commerce si doux,
Ce plaisir de l’esprit, plaisir vif et tranquille,
Est à mon corps usé le seul remède utile.
      Ah ! que j’aurais souffert sans vous !

  1. Ce Desforges était probablement un secrétaire de M. de Pontcarré. (Cl.)
  2. On avait, en 1728, publié un volume petit in-12, sous le titre de : Œuvres de M. Arouet de Voltaire, tome Ier ; à la Haye, chez P. Gosse et J. Néaulme. C’était la réunion d’éditions séparées des ouvrages jusqu’alors publiés par l’auteur (Œdipe, avec les lettres, Hérode et Mariamne, la Henriade, et quelques écrits qui ne sont pas de Voltaire). L’édition de 1732, en deux volumes in-8o, dont il existe des exemplaires avec le seul nom de Ledet, et d’autres avec le seul nom de Desbordes, contient : tome Ier, la Henriade, l′Essai sur la Poésie épique, des pièces fugitives ; tome II, Œdipe, Mariamne, Brutus, l′ Indiscret ; mais ce second volume n’est que la réunion d’éditions séparées de ces quatre pièces, chacune avec le millésime de 1731 et une pagination particulière. (B.)
  3. C’est-à-dire Isis et Argus, petite pièce lyrique. (Cl.)
  4. Érigone, tragédie jouée le 17 décembre 1731.