Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 217

Correspondance de Voltaire/1731
Correspondance : année 1731GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 223-224).
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217. — À M. DE CIDEVILLE.
Ce jeudi matin.

Mon cher ami, vous n’avez point ici de maîtresse qui vous aime plus que moi ; le premier plaisir que je goûte, en arrivant à Paris, est celui de vous écrire, et je vous réponds que je vais arranger mes affaires de façon que je vous reverrai bientôt. Je n’oublierai de ma vie les marques d’amitié que vous m’avez données à Rouen ; vous avez trouvé le secret de me faire passer avec délices un temps où la maladie et la solitude auraient dû me rendre la vie bien ennuyeuse. Un esprit comme le vôtre est fait pour adoucir les chagrins et pour augmenter les plaisirs de tous ceux avec lesquels il vit. Je vous demande à présent de mettre à Argus et à Isis le temps que vous vouliez bien employer à m’adoucir ma prison de Rouen. Adieu ; il n’est plus question pour moi de la vie douce, les affaires viennent me lutiner. À Rouen je passais ma vie à penser ; je vais la consumer ici à courir. Une seule affaire, quelque petite qu’elle soit, emporte ici la journée de son homme, et ne laisse pas un moment de conversation avec nos amis Horace et Virgile.

O rus, quando ego te aspiciam ? Quandoque licebit,
Nunc veterum libris, nunc somno et inertibus horis,
Ducere sollicitæ jucunda oblivia vitæ ?

(Hor., lib. II, sat. vi, v. 00.)

C’est le somnus surtout que je regrette. Je ne le connais plus guère ; mais je vous regrette mille fois davantage. Vale, et tuum ama Voltairium.