Correspondance de Voltaire/1731/Lettre 215

Correspondance de Voltaire/1731
Correspondance : année 1731GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 214-215).
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215. — À M. THIERIOT.
30 juin.

J’ai reçu votre lettre, mon cher Thieriot. Ne soyez pas étonné du silence que j’ai gardé un mois entier. J’ai repris mon ancienne sympathie avec vous. J’avais la fièvre quand vous aviez le dévoiement, et j’ai passé un mois entier dans mon lit. Ce qui m’a prolongé ma fièvre est un étrange régime où je me suis mis. J’ai fait toute la tragédie de César depuis qu’Ériphyle est dans son cadre. J’ai cru que c’était un sûr moyen pour dépayser les curieux sur Ériphyle : car le moyen de croire que j’aie fait César[1] et Ériphyle, et achevé Charles XII, en trois mois ! Je n’aurais pas fait pareille besogne à Paris en trois ans. Mais vous savez bien quelle prodigieuse différence il y a entre un esprit recueilli dans la retraite et un esprit dissipé dans le monde :

Carmina secessum scribentis et otia quærunt.

(Ovid., I, Trist., I, 41.)

J’ai revu aussi toutes ces petites pièces fugitives à qui vous faites plus d’honneur qu’elles ne méritent ; je les ai corrigées avec soin ; je compte, quand je serai à Paris, troquer avec vous de portefeuille ; je vous donnerai les pièces qui vous manquent, et vous me rendrez celles que je n’ai pas. Comptez que vous gagnerez au change : car vous n’avez pas l’Uranie[2] ; et, puisque vous êtes un homme discret, vous l’aurez : Quia super pauca fuisti fidelis, super multa te constituam. (Matt.,xxv, 21 et 23.)

Je vous envoie, mon cher ami, une réponse à des invectives bien injustes que j’ai trouvées imprimées contre moi dans les Semaines de l’abbé Desfontaines. Il me doit au moins la justice d’imprimer cette réponse, qui est, uti nos decet esse, pleine de vérité et de modestie. Je l’ai fait imprimer à Cantorbéry, afin que, si on me refusait la justice de la rendre publique, elle parût indépendamment du journal du Parnasse, où elle doit être insérée. Mandez-moi, je vous prie, ce que vous pensez de cette petite pièce. J’ai cru que je ne pouvais me dispenser de répondre, mais je ne sais pas si j’ai bien répondu.

Si vous imprimez l’abbé de Chaulieu, n’y mettez rien de moi, je vous prie, avant que je vous aie montré les changements que j’ai faits aux petites pièces que je lui ai adressées. Faites ma cour à M. de Chauvelin, à qui je n’ai pu écrire, étant toujours malade. Mes respects à MM. de Fontenelle et Lamotte. J’ai parlé de ces deux derniers dans ma réponse à l’abbé Desfontaines, non-seulement parce que je suis charmé de leur rendre justice, mais parce que l’abbé Desfontaines m’a accusé, dans son Dictionnaire néologique, de ne la leur pas rendre, et m’a voulu associer à ses malignités. Sépara causam meam a gente iniqua et dolosa[3]. Adieu.

  1. La Mort de César, imprimée en 1735, et jouée seulement en 1743, sur un grand théâtre.
  2. Le Pour et le Contre, pièce connue d’abord sous le titre d’Épître à Julie, ou à Uranie.
  3. On lit dans le psaume xlii, verset 1er" : Discerne causam meam de gente non sancta : ab homine iniquo et doloso erue me.