Correspondance de Voltaire/1723/Lettre 91

Correspondance de Voltaire/1723
Correspondance : année 1723GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 94-95).
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91. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Ce samedi.

Vous croyez bien que ce n’est pas mon plaisir qui me retient à Paris ; mes malheureuses affaires sont cause que je ne pourrai retourner chez vous de plus de quinze jours. Je vous assure que ce retardement est le plus grand de mes chagrins. Je n’irai point à Forges, et probablement M. de Richelieu ne pourra pas passer chez vous. Pour moi, dès que je serai une fois à la Rivière, je réponds que je n’en sortirai plus. Vous devez savoir les nouvelles. Je ne crois pas que vous vous attendissiez à voir M. Le Blanc remplacé par M. de Breteuil[1]. Tout Paris trouve ce choix assez ridicule, et on nomme déjà milord Colifichet[2] pour premier ministre. Cependant les gens qui connaissent M. de Breteuil disent qu’il est très-capable d’affaires, et qu’il a beaucoup d’esprit. Il est vrai qu’il a plus la figure d’un petit maître que d’un secrétaire d’État. Vous devez savoir que, jeudi dernier, M. de La Vrillière vint demander M. Le Blanc chez M. l’archevêque de Vienne, où il dînait ; M. Le Blanc quitta le dîner, et dit à M. de La Vrillière : « Monsieur, venez-vous m’arrêter ? » M. de La Vrillière lui dit que non, mais qu’il venait lui signifier un ordre de lui remettre tous les papiers qui concernent la guerre, et d’aller se retirer à Doux, terre de M. de Trenel, à quatorze lieues de Paris. M. Le Blanc ne partit pour son exil qu’à deux heures après minuit. Paris est toujours inondé des chansons dont je vous ai parlé, et que je n’ai pu vous envoyer ; je vous les apporterai à mon retour. Présentez mes respects, je vous prie, à Mme de Lézeau[3] ; je me flatte de la retrouver à votre campagne quand je serai assez heureux pour y venir chercher la tranquillité, qu’assurément je n’ai pas dans ce pays-ci. La plume me tombe des mains ; je suis si malade que je ne peux pas écrire davantage.

  1. François-Victor Le Tonnellier de Breteuil, nomme secrétaire d’État au département de la guerre, le 4 juillet 1723, à la place de Claude Le Blanc, renvoyé par les intrigues de la marquise de Prie ; mort ministre de la guerre, le 7 mars 1743 ; neveu du baron de Breteuil-Preuilly, père de Mme du Châtelet. (Cl.)
  2. Probablement Maurepas, né en 1701, nommé secrétaire d’État dès l’âge de quatorze ans ; gendre du marquis de La Vrillière, mort en septembre 1725, et cité ici.
  3. Mère du marquis de Lézeau, cité souvent dans la Correspondance.