Correspondance de Voltaire/1722/Lettre 55


Correspondance de Voltaire/1722
Correspondance : année 1722GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 33 (p. 66-67).
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55. — À M. LE CARDINAL DUBOIS.

28 mai 1722.

Monseigneur, j’envoie à Votre Éminence un petit mémoire de ce que j’ai pu déterrer touchant le juif dont j’ai eu l’honneur de vous parler.

Si Votre Éminence juge la chose importante, oserai-je vous représenter qu’un juif, n’étant d’aucun pays que de celui où il gagne de l’argent, peut aussi bien trahir le roi pour l’empereur que l’empereur pour le roi ?

Je suis fort trompé, ou ce juif pourra aisément me donner son chiffre avec Willar, et me donner des lettres pour lui.

Je peux, plus aisément que personne au monde, passer en Allemagne sous le prétexte d’y voir Rousseau, à qui j’ai écrit il y a deux mois[1] que j’avais envie d’aller montrer mon poëme au prince Eugène et à lui. J’ai même des lettres du prince Eugène, dans l’une desquelles il me fait l’honneur de me dire qu’il serait bien aise de me voir. Si ces considérations pouvaient engager Votre Éminence à m’employer à quelque chose, je la supplie de croire qu’elle ne serait pas mécontente de moi, et que j’aurais une reconnaissance éternelle de m’avoir permis de la servir.

Je suis, avec un profond respect, de Votre Éminence le très-humble, etc.

Voltaire.


mémoire touchant salomon lévi.

Salomon Lévi, juif, natif de Metz, fut d’abord employé par M. de Chamillart ; il passa chez les ennemis avec la facilité qu’ont les juifs d’être admis et d’être chassés partout. Il eut l’adresse de se faire munitionnaire de l’armée impériale en Italie ; il donnait de là tous les avis nécessaires à M. le maréchal de Villeroi : ce qui ne l’empêcha pas d’être pris dans Crémone. Depuis, étant dans Vienne, il eut des correspondances avec le maréchal de Villars.

Il eut ordre de M. de Torcy, en 1713, de suivre milord Marlborough, qui était passé en Allemagne pour empêcher la paix, et il rendit un compte exact de ses démarches.

Il fut envoyé secrètement par M. Le Blanc, à Siertz, il y a dix-huit mois, pour une affaire prétendue d’État, qui se trouva être une billevesée.

À l’égard de ses liaisons avec Willar, secrétaire du cabinet de l’empereur, Salomon Lévi prétend que Willar ne lui a jamais rien découvert que comme à un homme attaché aux intérêts de l’Empire, comme étant frère d’un autre Lévi employé en Lorraine et très-connu.

Cependant il n’est pas vraisemblable que Willar, qui recevait de l’argent de Salomon Lévi pour apprendre le secret de son maître aux Lorrains, n’en eût pas reçu très-volontiers pour en apprendre autant aux Français.

Salomon Lévi, dit-on, a pensé être pendu plusieurs fois, ce qui est bien plus vraisemblable.

Il a correspondance avec la compagnie comme sous-secrétaire de Willar.

Il compte faire des liaisons avec Oppenhemer et Vertembourg, munitionnaires de l’empereur, parce qu’ils sont tous deux juifs comme lui.

Willar vient d’écrire une lettre à Salomon, qui exige une réponse prompte, attendu ces paroles de la lettre : « Donnez-moi un rendez-vous, tandis que nous sommes encore libres. »

Salomon Lévi est actuellement caché dans Paris pour une affaire particulière avec un autre fripon nommé Rambau de Saint-Maur. Cette affaire est au Châtelet, et n’intéresse en rien la cour.

  1. La lettre à Rousseau est du 23 janvier