(tome 1p. 431-436).
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1826.


Monsieur le lieutenant-général comte Hugo, à Blois[1].


[Mars 1826.]
Mon cher papa,

Je profite d’un moment que me laissent mes libraires pour répondre à la dernière lettre que tu m’as fait remettre par Mme Asseline. Tes bons conseils pour mes yeux me touchent vivement, et je les mettrai certainement à exécution quand j’aurai quelque ouvrage de longue haleine à écrire ; en attendant, ma vue est rétablie, à un peu d’affaiblissement près.

Toutes tes commissions pour l’Aventurière[2] sont faites. Je te ferai parvenir quand tu voudras le reste des 25 exempl. que M. Delaforest[3] m’a très fidèlement remis. Je suis charmé que tu aies terminé Iham Schlaper[4], bien que, d’ici à quelque temps du moins, il ne faille pas compter le vendre. Tu ne saurais te figurer dans quel état de crise se trouve la librairie depuis le mois de 9bre dernier. Le commerce des livres est presque absolument paralysé ; des faillites multipliées ont eu des contre-coups qui ont ébranlé nos plus fortes maisons. Toutes les affaires sont ou en débâcle ou en stagnation. Toutes ces causes me font craindre que l’Aventurière n’ait pas eu pour Delaforest le résultat avantageux qu’il devait en attendre à si juste titre.

J’avais fait pour l’Aventurière quelques petits articles qui n’ont point paru. Y a-t-il en cela de la faute du libraire ? C’est ce que je ne saurais dire. J’en ai fait un autre encore pour un petit journal que l’on m’envoie. On m’en a promis l’insertion. Dès qu’il aura paru, je te l’enverrai.

Les sottises du petit bonhomme Gault[5] ne m’étonnent pas. Mais que t’importe ? Ton nom ne peut jamais être cité qu’avec honneur. Que ce drôle d’adjoint prenne garde à lui !

Ton observation pour Bug-Jargal est fort juste[6]. Je changerai le passage, non dans la 2e édition, elle va paraître, mais dans la 3e qui aurait déjà paru sans la crise où se trouve la librairie.

Tu sais que nous venons de vendre 550 000 francs les œuvres de M. de Chateaubriand.

Adieu, bon et cher papa, Didine toujours avec 6 dents, ma femme et toute la famille Foucher t’embrassent tendrement comme Abel et moi. Tout le monde ici se porte bien et vous aime tous deux.

Ton fils respectueusement dévoué,
V. H[7].
À Lamartine.


Paris, 25 mai 1826.

Je vous ai écrit il y a déjà quelque temps, mon cher Lamartine, en vous envoyant un nouveau roman que je viens de publier et qui s’appelle Bug-Jargal. Mais vous n’étiez sans doute plus à Florence quand ma longue lettre y sera parvenue. Je vous y rappelais en outre la promesse que vous nous faisiez à Saint-Point, cet heureux jour que nous y passâmes près de vous, de donner votre nom et vos vers à notre Album de quatre voyageurs, en dédommagement de votre absence forcée. Aujourd’hui tout est prêt pour la publication de ce livre, la prose de Nodier et mes vers ; il ne lui manque plus que sa plus belle parure, et c’est de vous que nous l’espérons.

Notre libraire commun, Urbain Canel, a l’occasion d’aller à Dijon et se charge de vous remettre cette lettre. Répondez-moi, je vous prie, un mot qui me dise comment vous vous portez, comment vont votre femme et votre charmante fille, si vous viendrez bientôt à Paris, et si vous nous porterez quelques belles méditations sur les montagnes. Quant à ce dernier point, ne vous gênez pas surtout. Quelque précieuse que soit pour nous votre coopération, notre amitié ne veut être ni importune, ni exigeante.

Je vous envoyais encore dans mon paquet pour Florence l’ode que je vous ai adressée en réponse à votre charmante épître, et qui ouvre le nouveau recueil que je vais publier[8]. C’est une sorte de dédicace de tout le recueil. Venez, de grâce, la chercher à Paris. Elle paraîtra dans un mois.

Adieu, mon illustre ami, répondez-moi vite, et souvenez-vous toujours que rien n’égale mon admiration pour votre talent, si ce n’est ma tendre amitié pour votre personne.

Victor.
Ma femme se recommande au souvenir amical de madame de Lamartine. Mille respects de ma part[9].
À Monsieur Henri de Latouche[10].
3 août [1826].

Je reçois une lettre qui m’étonne fort de votre part, mon cher monsieur de Latouche[11]. Je n’y réponds même que parce que vous étiez autrefois mon cher Latouche, et que j’espère que cette réponse pourra amener une réparation que je ne puis m’empêcher de désirer.

Je ne connais plus personne au Drapeau Blanc. Je ne connais de Z. que celui qui m’injurie assez agréablement au Journal des Débats.

Pour moi, je m’embarrasse aussi peu des apologies que des insultes, et la plupart du temps, je ne lis ni éloges ni diatribes.

Voilà les explications que je veux bien donner à notre ancienne amitié. Je suis fâché pour vous que vous les ayez jugées nécessaires.

Victor.-M. Hugo[12].


Au général Hugo.


Paris, le 3 novembre 1826.
Mon cher papa,

Tu vois que la nouvelle ne se fait pas attendre. Mon Adèle est accouchée cette nuit à cinq heures moins vingt minutes du matin d’un garçon fort bien portant[13]. Cette pauvre amie a cruellement souffert. Je t’écris en ce moment près de son lit ; elle se trouve assez bien ; cependant elle croit avoir quelque fièvre, et je lui recommande de ne pas parler.

Nos bons parents recevront sans doute avec bien de la joie ce nouveau venu qui vient remplacer le petit ange que nous avons si douloureusement perdu il y a trois ans. Votre bonheur ajoute au nôtre.

Je ne t’en écris pas davantage aujourd’hui, cher papa ; embrasse pour nous ta femme ; fais part de la naissance de ton petit-fils à tous nos amis de Blois : MM. Brousse, de Féraudy, de Béthune, Driollet, etc., Me Brousse, etc. ; ma femme prie la tienne de dire à la jeune dame les choses les plus affectueuses en son nom. Abel et Mélanie, femme de Victor Foucher, seront les parrains du nouveau-né, dont nous ignorons encore le nom. Il a déjà fort bien tété.

Ton fils tendre et respectueux,

Victor.

Est-ce que vous n’arriverez pas bientôt à Paris ? Nous vous attendrions pour le baptême ; ce serait double fête[14].


À Monsieur V. P.[15]
l’un des rédacteurs du Feuilleton des Affiches d’Angers,
au bureau de ces affiches, chez M. Pavie, imprimeur du Roi, à Angers.


13 décembre 1826.

C’est à vous sans doute, monsieur, que je dois l’envoi d’un numéro du Feuilleton d’Angers (2 décembre) où il est parlé du recueil d’Odes et de Ballades que je viens de publier. Du moins, c’est à vous, monsieur, que je dois ce bienveillant article, et je me fais un devoir et une joie de vous en remercier.

Ce n’est point parce que vous me louez que je vous remercie. Je ferais peu de cas, permettez-moi de vous le dire, d’un éloge qui ne serait qu’un éloge. Ce dont je suis reconnaissant dans votre article, c’est du talent qui s’y trouve ; ce qui me plaît, ce qui me charme, ce qui m’enchante, c’est d’avoir trouvé dans si peu de lignes la révélation complète d’une âme noble, d’une intelligence forte et d’un esprit élevé.

Vous êtes, je le sens, monsieur, du nombre de ces amis que mes pauvres livres me font de par le monde et que je ne connais pas, mais que j’ai tant de plaisir à rencontrer quand une occasion fortuite se présente de leur serrer la main. En attendant que cette bonne fortune m’arrive à votre égard, recevez cette lettre comme un gage de ma vive et cordiale estime.

Je regrette de ne pouvoir vous écrire que sous les initiales V. P. ; elles signent un article que les premiers noms de notre littérature pourraient souscrire ; mais, quel qu’il soit, le nom qu’elles cachent ne restera pas longtemps ignoré.

Votre ami,
Victor Hugo.


  1. Inédite.
  2. L’Aventurière Tyrolienne, roman du général Hugo.
  3. Éditeur de l’Aventurière Tyrolienne.
  4. Ce titre ne figure pas dans la liste des ouvrages du général Hugo.
  5. « Le petit adjoint de la mairie de Blois, M. Denis Gault, s’est vengé sur moi de la manière dont tu as ici repoussé l’insultante protection dont il te disait m’avoir honoré. » (Lettre du général Hugo, 13 février 1826.) Louis Barthou. Le général Hugo.
  6. « Change dans Bug-Jargal le passage où il est dit que Thadée, ayant brossé l’habit du capitaine, sergent, peut être officier le lendemain ; il ne peut pas être domestique la veille. » (Lettre du général Hugo, 23 février 1826.)
  7. Collection Louis Barthou.
  8. Odes et Ballades, parue en novembre 1826.
  9. Archives de la famille de Victor Hugo.
  10. Latouche, premier éditeur des œuvres d’André Chénier, était un romancier de talent ; critique railleur et vindicatif, il fut peu tendre pour la nouvelle école ; sans doute ses opinions républicaines contribuèrent-elles à l’éloigner de ce milieu royaliste. Il fonda en 1823 le Mercure du XIXe siècle qui battit en brèche la Muse française ; en 1825 une satire : les classiques vengés, accentua encore l’antagonisme entre les romantiques et leur adversaire.
  11. Dans son livre : Le Cénacle de Joseph Delorme, Léon Séché suppose que Latouche avait demandé quelques renseignements à Victor Hugo sur un rédacteur du Drapeau Blanc. Cette supposition, si elle était fondée, ne justifierait pas l’étonnement du poète et son désir d’une réparation.
  12. Archives de la famille Victor Hugo.
  13. Charles Hugo.
  14. Bibliothèque municipale de Blois.
  15. Victor Pavie, poète, vit pour la première fois Victor Hugo le 7 juillet 1827 ; il se lia avec les principaux membres du Cénacle. En 1831, il se fit recevoir avocat, mais quitta bientôt le barreau pour se consacrer à l’imprimerie fondée par son père. Il échangea avec Victor Hugo une correspondance très amicale dont on trouve encore trace en 1868. Victor Pavie a publié plusieurs volumes de vers.