(tome 1p. 297-299).
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1817.


À Madame Martin.
21 mai 1817.
Madame,

Vous nous permettrez de vous rappeler que nous sommes sans argent depuis le 1er. Comme nos besoins sont toujours les mêmes, nous avons été contraints d’emprunter. Nous vous prions en conséquence de nous faire passer les 6 francs qui nous reviennent, savoir : 3 francs pour le 1er mai et 3 francs pour le 15, de nous envoyer un perruquier et de parler à Mme  Dejarrier pour nos chaussures et les chapeaux.

Daignez, madame, agréer l’assurance des sentiments d’estime et d’affection que vous méritez de notre part.

Vos très humbles et très obéissants serviteurs,
V. Victor, E. Hugo[1].
À Monsieur Raynouard[2]
Secrétaire perpétuel de l’Académie française.
Paris, le 31 août 1817.
Monsieur,

Retenu par une légère indisposition, je ne puis avoir l’honneur d’aller moi-même vous témoigner ma reconnaissance de la faveur que l’Académie française a daigné me faire en accordant une mention honorable à la pièce n° 15 dont je suis l’auteur. Ayant appris que vous aviez élevé des doutes sur mon âge, je prends la liberté de vous remettre cy-inclus mon acte de naissance. Il vous prouvera que ce vers


Moi, qui…
De trois lustres à peine ai vu finir le cours


n’est point une fiction poétique.

S’il était encore temps de faire insérer mon nom dans votre rapport imprimé par ordre de l’Académie, ce serait augmenter infiniment la reconnaissance que je vous dois, et dont je vous prie d’agréer la preuve dans cette langue que vos encouragements me rendent si chère et qui doit, à tant de titres, vous l’être bien davantage encore.

J’espère de votre bonté, monsieur, que vous voudrez bien, après en avoir pris connaissance, me renvoyer mon acte de naissance rue des Petits-Augustins, n° 18.

Je vous prie d’agréer l’assurance du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur,
Victor-Marie Hugo.
À Raynouard, auteur des Templiers.


Ô Raynouard, toi qui d’un Ordre auguste
Nous traças en beaux vers le châtiment injuste ;

Qui, dédaignant l’amour et ses molles douleurs.
Sur l’austère vertu nous fis verser des pleurs ;
Toi qui bientôt encor, dans tes fécondes veilles,
Des exploits de Judas[3] nous diras les merveilles ;
Pardonne !… interrompant de si nobles travaux,

Un jeune élève de Virgile

Ose de sa Muse inhabile

T’adresser les accords nouveaux.
Il te doit tout : c’est toi dont l’indulgence

Sut arracher au gouffre de l’oubli

Son faible essai dans l’ombre enseveli.
De sa Muse accueillant l’enfance,
Tu fis plus ; tu voulus, dans le sénat des arts
Sur elle attirer les regards.
Ces vers sans art échappés à ma veine
D’un tel honneur étaient dignes à peine ;
Mais que ne pouvaient sur les cœurs
Cet amour que Virgile a peint en traits vainqueurs,
Le souvenir d’Élise abandonnée

D’un triste hymen invoquant les vains droits
Et réclamant contre l’ingrat Énée
L’appui des Dieux qui l’ont seuls condamnée ?
Que ne pouvait le charme de ta voix ?

De cette voix dont la mâle énergie,
Quand la patrie en deuil redemandait ses rois,

Déployant des vertus l’éloquente magie,
Apprit au tyran même à respecter nos lois ?
C’est à ta voix encor, c’est à son harmonie
Qu’est dû tout le succès de mon humble génie.
Ce qui fait mon bonheur fait aussi mon orgueil :

Virgile et toi protégiez ma faiblesse.
Ces vers nouveaux que je t’adresse
Recevront-ils le même accueil ?
Dans le sein de Virgile ils n’ont point pris naissance,

Ton organe flatteur n’a pas accru leur prix,

Mais ils sont inspirés par la reconnaissance,
Et c’est pour toi qu’ils sont écrits.
  1. Cette lettre prouve que la proposition du général relative aux vingt-cinq louis par an versées directement à Victor et Eugène avait été abandonnée, puisque leur tante restait chargée de leur entretien. Une autre influence que celle de Mme  Martin semble, d’après une lettre d’Abel à son père, indisposer le général contre ses fils ; au sujet d’une lettre adressée par le général à M. Decotte, lettre montrée à Abel, l’aîné défend ainsi ses frères :
    26 août 1817.

    « ... Tu marques un mécontentement furieux de la conduite de deux jeunes gens qui viennent de donner aux concours des preuves signalées de leur bonne conduite et de leur talent. Un premier accessit au grand concours en philosophie, d’autres premiers en philosophie au lycée, d’autres en mathématiques, et la mention honorable au grand concours de poésie à l’Académie française accordée à l’un de tes fils âgé de quinze ans, toutes ces preuves glorieuses te paraissent-elles autant de signes de non-application et d’inconduite ? Où tout autre se glorifierait de tels enfants, tu ne vois que des misérables, des polissons prêts à déshonorer un nom que tu as rendu recommandable par ta carrière militaire... Non, mon père, je te connais, tu as écrit cette fatale lettre, mais ton cœur ne l’a pas dictée. Tu aimes encore tes enfants ; un mauvais génie, un démon de l’enfer, auquel tu devrais attribuer tes malheurs plutôt qu’à notre respectable mère, fascine tes yeux et ne te montre que des signes de haine où tu trouverais des preuves d’amour si tu osais t’approcher de cœurs qui te chérissent… Un jour viendra où tu verras dans tout son jour l’infernale créature dont je veux te parler, l’heure de notre vengeance sera arrivée, nous retrouverons notre père… » — Collection de M. Louis Barthou.
  2. Raynouard, auteur dramatique, historien et philologue, obtint en 1805 au Théâtre-Français un succès avec sa tragédie : Les Templiers.
  3. Sic.